Alexandre Dratwicki © DR
On le sait, le Centre de Musique romantique française déborde de projets et soutient quantité d’événements et de publications. Alexandre Dratwicki, Directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane, lève le voile sur quelques-uns d’entre eux.
Parlons d’abord de la collection Prix de Rome chez Glossa. Un troisième volume vient de paraître, mais vous préparez déjà la suite ?
Tout à fait. Avec le coffret consacré à Gustave Charpentier, on dépasse l’intérêt surtout historique des deux premiers pour arriver à des œuvres essentielles dans la carrière du compositeur. La Vie du poète est une extraordinaire pièce de concert, où passe un souffle dramatique bien plus puissant que dans Julien, l’opéra qu’il devait en tirer des années plus tard, en délayant cette partition conçue à Rome. A côté de sa cantate Didon, on trouvera aussi les Impressions d’Italie dans leur « version longue », puisque Charpentier en avait établi une partition raccourcie pour tenir compte des impératifs de l’enregistrement en 78 tours. Le volume 4, enregistré au printemps prochain, sera consacré à Max d’Ollone, élève de Massenet, Prix de Rome 1897, avec plusieurs chœurs d’essai et quatre de ses six cantates, dont certaines ont récemment refait surface au CNSM de Paris de façon totalement inespérée. A cette même occasion a été retrouvée la cantate Sémélé de Dukas (1889), que l’on croyait perdue ; de ce compositeur, Velléda (1888) a déjà été enregistrée, le disque devrait sortir dans la collection Les Siècles Live, chez Actes Sud, la Sémélé suivra, mais pas dans la collection Prix de Rome. Nous avons aussi en projet un coffret autour de la famille Boulanger, avec d’abord Ernest, le père, Prix de Rome 1835,puis évidemment Nadia et Lili. On pourrait aussi envisager un volume autour de Pierné. Les cantates d’entraînement de Franck mériteraient aussi d’être enregistrées. Et pourquoi pas plusieurs versions de L’Entrée en loge, ce texte incroyable qui fut proposé aux candidats en 1834 (parmi lesquels Charles-Valentin Alkan, déjà candidat en 1832). La difficulté, pour tous ces enregistrements, est bien sûr de réunir la distribution adéquate, avec des voix phonogéniques, pas encore fatiguées par la fréquentation d’un répertoire trop lourd, et au français aussi parfait que possible.
Vous êtes à la tête d’une institution qui apparaît comme providentielle pour redonner vie à tout un pan de la musique française qui a longtemps été dédaigné, puisque vous reprenez le fil de l’histoire là où les baroqueux s’arrêtent, en somme.
La période 1780-1815 est en effet une de nos priorités et, dans le domaine de l’opéra, nous allons encourager toute une série de concerts qui déboucheront sur des parutions discographiques. La Sémiramis de Catel (1802), ressuscitée par Hervé Niquet à Montpellier en juillet dernier, devrait être publiée à l’automne 2012, et suivie par Les Bayadères (1810), chef-d’œuvre du même Catel. La Lodoïska de Cherubini, dirigée par Jérémie Rhorer à Paris en octobre 2010, devrait bientôt sortir chez Naïve. Au printemps prochain, paraîtront Amadis de Gaule, de Jean-Chrétien Bach, mais confié à une autre équipe que celle qu’on entendra à Versailles et à l’Opéra-Comique, et La Mort d’Abel de Kreutzer. Sur près de 300 concerts soutenus en 2012 par le Palazzetto Bru Zane, il devrait y avoir plusieurs opéras de cette époque : Thésée de Gossec (1782), Renaud ou la suite d’Armide de Sacchini (1783), La Toison d’or de Vogel (1786), Atys de Piccinni (1780), Adrien empereur de Rome de Méhul (1792). On pourra enfin juger sur pièces. Le problème de ce répertoire, c’est qu’on a tendance à se reposer sur des idées reçues, et que certaines œuvres ont survécu pour de mauvaises raisons, pour des motifs autres que musicaux : le Joseph de Méhul n’est pas une partition radicalement plus intéressante qu’Adrien, mais la postérité ne retient pas toujours les meilleures œuvres d’un compositeur. C’est vrai notamment pour quelqu’un comme Lesueur, par exemple.
Le Palazzetto Bru Zane porte le nom de « Centre de musique romantique française ». Qu’avez-vous prévu pour la période romantique, justement ?
Un grand projet, lié au bicentenaire de la naissance de Wagner en 2013, serait la recréation du Vaisseau fantôme de Pierre-Louis-Philippe Dietsch (1808-1865), maître de chapelle à La Madeleine. Wagner ayant vendu le sujet aux librettistes Foucher et Révoil, ce fut pour Dietsch l’occasion de composer son unique ouvrage lyrique. Le Vaisseau fantôme ou le Maudit des mers fut créé à l’Opéra de Paris le 9 novembre 1842, avec rien moins que Julie Dorus-Gras dans le rôle principal… Il est aussi question du Roland à Roncevaux, de Mermet, dont Véronique Gens a enregistré un des airs pour son disque Tragédiennes 3. Félicien David devrait aussi retenir notre attention, dans un avenir pas si lointain, avec son grand opéra Herculanum (1859). De Victorin Joncières (1839-1903), nous venons de donner en concert la Symphonie romantique ; plusieurs de ses opéras mériteraient un enregistrement : Dimitri (1876), Lancelot (1900), Le Chevalier Jean (1885), Les Derniers Jours de Pompéi (1869)… Pour un compositeur comme Ernest Reyer, par exemple, il faudra encore attendre quelques années, le temps que s’établissent des collaborations plus régulières avec de grands orchestres ou de grandes maisons d’opéra. Une intégrale de Sigurd ou de Salammbô coûterait extrêmement cher, ne serait-ce que pour réunir la distribution adéquate. Enfin, ce ne sont pas les projets qui manquent, les musiques de qualité non plus !
Un dernier mot : que fait le Palazzetto Bru Zane pour l’année Massenet ?
Nous soutenons le concert que donnera en mai à l’Opéra-Comique François-Xavier Roth avec Les Siècles, au cours duquel sera notamment recréée la cantate Louise de Mézières (1862) que nous éditons pour l’occasion avec Symétrie. Thérèse devrait être une actualité de l’été. Et Le Mage pourrait être le temps fort de l’automne. A suivre !
Propos recueillis par Laurent Bury, le 4 novembre 2011