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Cinq questions à Kristine Opolais

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Interview
20 avril 2015

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Suite au forfait d’Olga Guryakova (et non Peretyatko, comme l’écrivait Le Figaro dans son édition du 17 avril dernier), la soprano lettonne Kristine Opolais fait des débuts imprévus à l’Opéra de Paris, dans un rôle qui l’a fait découvrir : Roussalka (plus d’informations). Pourtant, c’est Puccini qui lui a valu de se retrouver sous le feu des projecteurs, en novembre dernier, lorsqu’elle a remplacé Anna Netrebko dans une production munichoise de Manon Lescaut dont Jonas Kaufmann était la star. Cinq questions pour cerner une carrière internationale qui a démarré il y a moins de dix ans.


Roussalka est le rôle grâce auquel le grand public vous a découverte. Avez-vous le sentiment d’approfondir ce personnage d’une production à l’autre ?

En fait, je n’avais participé qu’à une production du chef-d’œuvre de Dvořák avant d’être contactée par l’Opéra de Paris. Je devais en faire une autre à Vienne, à l’automne dernier, mais j’ai dû annuler car, après une longue maladie, je n’étais pas au mieux de ma forme vocalement et ce rôle compte trop pour moi, il me tient trop à cœur pour que je l’aborde quand je ne suis pas à 100% de mes capacités. Ma première Roussalka remonte à octobre 2010, à Munich, dans la mise en scène de Martin Kušej, spectacle qui a été repris à l’automne 2013 et qui a été immortalisé par un DVD. Donc j’ai un souvenir très fort de cette première production qui était très différente de celle de Robert Carsen. Après avoir chanté la première hier soir, j’avoue ne pas avoir encore complètement trouvé mes marques, j’en suis presque encore à découvrir le décor, les éclairages. J’ai hâte d’arriver à la deuxième représentation pour mieux me repérer. Le spectacle de Robert Carsen est très esthétique, très romantique, alors que celui de Martin Kušej était très noir, avec des personnages ravagés par de graves problèmes psychologiques. C’est vraiment le jour et la nuit, donc je dois oublier tous mes souvenirs. Le plus difficile, c’est toute la partie où je ne chante pas. A Munich, j’avais beaucoup de choses à faire, mais ici, je dors, je reste couchée, il ne m’arrive rien : à l’orchestre il se passe des tas de choses, la musique est pleine d’émotions, et Robert Carsen a trouvé une solution fantastique pour montrer ce qui se passe dans l’esprit de l’héroïne, et c’est très fort visuellement, mais pour moi, c’est assez frustrant. Ne rien avoir à faire en scène, pour moi qui me sens profondément actrice, c’est un vrai problème. Je ne peux pas séparer le chant du jeu théâtral, au point que j’ai du mal à chanter si je ne crois pas à ce que je dois jouer, je me sens limitée, contrainte. Cela arrive rarement, bien sûr, en général je suis très libre sur scène, parce que c’est ma vie. J’ai besoin d’action dramatiquement forte, je veux toujours trouver quelque chose où m’épanouir. Il me faut une raison de vouloir être en scène, sinon je préfère rester chez moi avec ma fille. Si je n’ai plus de raison d’être à l’opéra, je ferais mieux de partir.

Puccini a accompagné vos débuts dans de très grands théâtres. Est-ce un hasard ou sentez-vous une forte affinité avec ce compositeur ?

Je pense que si Puccini était en vie, nous aurions une grande histoire d’amour ensemble ! J’ai l’impression d’avoir sa musique dans le sang, comme si j’étais née avec elle en moi. Ça ne veut pas dire que je sois parfaite dans Puccini, ni que je plaise à tout le monde dans Puccini, ce qui est impossible car nous avons tous des goûts différents. Mais les meilleures maisons d’opéra m’ont invitée pour chanter Puccini, donc il doit bien y avoir quelque chose. C’est pour moi le meilleur moyen de faire mes débuts dans une salle, car j’ai quelque chose à dire dans cette musique, et Puccini est le compositeur que je connais le mieux. Je ne pourrai pas le chanter jusqu’à la fin de mes jours, mais je doute qu’il y ait jamais une autre musique dont je sois aussi proche. Et j’aurais beaucoup de mal à dire quel personnage puccinien je préfère. Quand j’ai chanté Tosca, j’ai cru que c’était le plus beau rôle du monde, puis quand j’ai abordé Manon Lescaut à Londres, Antonio Pappano m’a dit : Attends la première, tu verras. Je viens de retourner à Londres pour Butterfly et je dois dire que c’est le personnage le plus complet, dont la palette d’émotions est la plus grande. Puccini a vécu une grande passion amoureuse à l’époque où il a composé Madame Butterfly, et cela s’entend. Je n’ai aucune envie d’être un jour Turandot, mais il y a un personnage qui me tente énormément, même si mon agent est contre, c’est la Fanciulla del West. Il faut que je le fasse ! Pour le moment, le vrai défi, qui est prévu dans trois ans pour une très grande maison d’opéra, c’est de chanter les trois rôles féminins dans Il Trittico. C’est l’un des projets les plus enthousiasmants de ma vie artistique. Si j’arrive à incarner ces trois personnages si différents, théâtralement et vocalement, je crois qu’ensuite je m’accorderai une longue pause ! Pour mener à bien ce projet, il me faudra un metteur en scène génial qui me montrera comment être ces trois femmes. Les metteurs en scène sentent en général que je suis une actrice, et ils exploitent ces possibilités que leur offre. J’ai le temps d’y penser, mais trois ans, pour nous les artistes, ça passe comme trois semaines…

Manon Lescaut vous a aussi permis d’attirer l’attention internationale, puisque vous l’avez interprété deux fois aux côtés de Jonas Kaufmann.

C’est un opéra que j’ai chanté d’abord dans des conditions tout à fait normales, puis de façon totalement imprévue. Quand j’ai fait mes débuts à Londres avec Butterfly, Antonio Pappano et le Royal Opera House m’ont aussitôt après proposé une nouvelle production de Manon Lescaut. La deuxième fois, j’ai « sauvé » la production de Munich, dans des conditions assez invraisemblables. Quand une star comme Anna Netrebko annule quelques semaines avant la première, que peut faire une maison d’opéra ? Pour tout vous dire, j’avais eu comme une intuition, plusieurs mois auparavant. En juillet, à Munich, quelqu’un m’a demandé ce que je faisais à l’automne. « Je chante Mimi au Met, pourquoi ? » Mais j’ai eu une sorte de pressentiment, j’ai deviné que quelque chose n’allait pas avec leur Manon Lescaut. Alors en novembre, quand le directeur de l’Opéra de Bavière m’a appelée pour me demander si je pouvais venir à leur secours, je me suis exclamée : « Je le savais ! » Jonas Kaufmann m’a dit : « S’il te plaît, si tu peux, viens ». Peter Gelb a été formidable, il m’a laissé décider, mais j’étais comme un enfant à qui on demande s’il préfère son père ou sa mère ! J’adore le Met, mais Munich est la maison où j’ai fait mes grands débuts, ils m’ont portée comme un bébé. Et à deux jours de partir pour New York, j’ai donc annulé mon contrat avec le Met, et je n’ai eu que très peu de temps pour répéter à Munich. En plus, Hans Neuenfels n’est pas le plus facile des metteurs en scène, il est très exigeant, très concentré, mais je suis ravie d’avoir pu travailler avec lui. Nous nous sommes compris dès le premier jour. Quand à Jonas Kaufmann, c’est un collègue extraordinaire. A Londres, c’était déjà une mégastar et moi je n’étais qu’une petite soprano à l’aube de sa carrière internationale, mais Antonio Pappano et lui ont été formidables, j’ai tellement appris à leur contact ! Jonas m’a donné beaucoup de conseils, parce qu’il voulait m’encourager à donner le meilleur de moi-même, et il est rare de trouver un partenaire qui vous aide vraiment. Il veillait sur moi, et c’est pour ça qu’il y a eu cette magie entre nous, tout le monde croyait que ce que nous montrions sur scène était réel. Quand nous nous sommes retrouvés ensuite à Munich, où il était chez lui, en star incontestée, les spectateurs de la première ont pu être déçus parce qu’ils avaient acheté des billets pour voir Anna Netrebko, mais dès la deuxième, et surtout la troisième représentation, j’ai trouvé mon public.

Votre mari Andris Nelsons est un des plus grands chefs actuels : parlez-vous de vos rôles avec lui ?

Jamais. En fait, nous travaillons rarement ensemble. Quand j’ai fait mes débuts, à Riga, en chantant Tosca, Aida ou Butterfly, c’était avec Andris, le meilleur chef que j’aurais pu trouver en Lettonie pour diriger Puccini. Nous étions simplement collègues, il n’y a pas eu de coup de foudre. Et malgré tout l’amour et le respect que j’ai pour mon pays, je me suis aussitôt dit : « Il faut qu’il s’en aille, il doit poursuivre sa carrière ailleurs ». Un an après, quand nous avons découvert qu’un sentiment plus fort nous unissait, nous nous sommes mariés, mais je n’ai cessé de lui répéter qu’il devait partir, et j’ai été ravie quand sa carrière internationale a décollé. Plusieurs années après, en 2011, j’étais à Munich pour Roussalka, et mon agent m’a téléphoné pour m’annoncer que Covent Garden cherchait quelqu’un pour les dépanner dans Madame Butterfly. J’ai trouvé ça absurde, car j’étais enceinte et Butterfly est un rôle difficile : si le chef ne prend pas soin de vous, il peut vous tuer. Alors j’ai demandé qui dirigeait. Après un silence, mon agent a répondu : « Eh bien, la seule chose que je peux dire, ce que c’est un chef qui t’adore ». Qui pouvait-ce bien être ? Ma carrière n’était pas bien longue, il n’y avait pas tant de chefs avec qui j’avais travaillé. Alors mon agent a ajouté : « C’est un certain Andris Nelsons, tu le connais ? » J’avais complètement oublié que mon mari était à Londres à cette période-là ! Incroyable… Alors évidemment, j’ai accepté puisque je savais qu’Andris prendrait bien soin de moi.

Quels sont vos défis pour les cinq prochaines années ?

Je vais aborder le répertoire français. Il y aura d’abord La Juive, à Munich en juin 2016. Ensuite il y aura aussi Thaïs. Ce ne sera pas en France, Dieu merci ! Il faudrait que je vive ici au moins cinq ans avant de maîtriser assez votre langue pour chanter devant un public français. En octobre 2015, j’aborde Marguerite et Hélène dans Mefistofele, c’est intéressant pour moi en tant qu’actrice. Boito est un compositeur que je ne range pas du tout dans la même case que Puccini, même s’ils sont tous deux italiens et ont vécu plus ou moins à la même époque. Quand je chante Puccini, ma voix se place plus dans le masque, le son doit passer par-dessus l’orchestre ; pour la musique slave, elle est plus ronde, plus dans mon corps. Tout le monde me demande quand j’en viendrai à Richard Strauss, donc il faudra sans doute que j’y arrive un jour, mais je ne me sens pas prête, et d’ailleurs je n’ai jamais chanté en allemand. Je m’en rapproche peu à peu, mais ce ne sera pas avant 2020 ; je serai d’abord Elsa en 2018, dans une grande maison d’opéra. Quant à Verdi, j’ai décidé que Traviata n’était pas un rôle pour moi, mais j’aimerais réessayer Aida, que j’ai chantée à 25 ans. J’aime aussi Amelia du Bal masqué. J’aurais dû chanter dans Otello à Hambourg en 2013, mais ça ne s’est pas fait. Desdémone est un peu comme Mimi, c’est un rôle où je dois toujours ajouter quelque chose pour le rendre intéressant pour moi, même si tout le monde le trouve formidable. Incontestablement, j’aime les personnalités fortes !

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