Franco Fagioli est en France ce mois-ci, pour une double actualité : Orfeo de Gluck à Versailles, jeudi 7 novembre, et un concert dans le prolongement de son disque Caffarelli, salle Gaveau, lundi 25 novembre.
On vous qualifie parfois de « Bartoli mâle » : pensez-vous qu’on puisse comparer votre façon de chanter à la sienne ?
C’est un honneur pour moi que d’être comparé à la très grande Cecilia Bartoli, que j’admire, mais que je n’imite pas. Quand j’ai commencé, j’écoutais les mezzo-sopranos : Jennifer Larmore, Anne Sofie von Otter, Marylin Horne, et bien sûr Bartoli. Le son des mezzo m’était présenté comme l’idéal à suivre. Et ce qui me rapproche aussi peut-être de Cecilia Bartoli, c’est un certain goût, un amour pour la technique italienne du bel canto, une manière de chanter qui relève de l’italianità.
Pourtant, vous chantez aussi des rôles de soprano, comme ceux qu’a créés Farinelli.
Je ne suis pas mezzo, je suis contre-ténor, mais cette appellation est un peu vague, un peu large. C’est un terme générique qu’on emploie aujourd’hui pour désigner les chanteurs qui utilise la voix de tête. A l’époque de Haendel, il y avait les castrats, d’école italienne, et les contre-ténors, d’école anglaise. Evidemment, je ne suis pas un castrat ! J’utilise la voix de tête, comme le faisaient les contre-ténors anglais, mais mon chant est d’école italienne. Quant à l’opposition entre soprano et mezzo, on ne parlait à l’époque baroque que de sopranos. Le terme « mezzo » est récent, il date du XXe siècle. Auparavant, on était soprano ou alto, et chez Rossini il y avait des contraltos. Dans le baroque, je chante des rôles à la tessiture aiguë, mais également plus centrale, comme Giulio Cesare, écrit pour Senesino, qui était un peu alto. En tout cas, en termes modernes, je ne me sens pas du tout soprano. Je me sens bien dans des rôles qu’on attribue aux mezzos, comme Sesto ou Idamante chez Mozart, ou Arsace chez Rossini.
Votre interprétation d’Arbace, dans l’Artaserse de Vinci, a-t-elle changé le cours de votre carrière ?
Je dirais que ce rôle a aidé ma carrière plutôt qu’il ne l’a transformée. Après tout, cela ne fait pas si longtemps que je chante, j’ai fait mes débuts européens en 2005, tout cela se construit peu à peu. Le rôle que je tiens dans Artaserse, écrit à l’origine pour Carestini, est venu juste au bon moment, et il m’a permis de faire entendre quelque chose qui n’avait pas encore été entendu. A présent, mon nom est plus connu, les gens s’intéressent à ce que je fais. Je ne recherche pas la célébrité pour la célébrité. De plus, pour un chanteur lyrique, être plus connu, cela signifie devoir travailler plus ! J’espère simplement partager avec le plus large public possible ce que j’ai à offrir. Je voudrais faire découvrir un répertoire encore inexploré.
Max Emanuel Cencic est à l’origine de l’aventure Artaserse. A-t-il joué un rôle dans votre album Caffarelli ?
Max est directeur artistique de Parnassus, mon agence. Nous avons donc eu un échange d’idées, c’est ensemble que nous avons exclu Farinelli au profit de Caffarelli. Il est animé par une ambition admirable, et il souhaite que chaque artiste s’exprime dans le registre qui lui convient le mieux. Nous avons discuté du concept, mais quant aux choix des airs, il me revient entièrement.
En 2012, vous avez chanté à Martina Franca un autre Artaserse, celui de Hasse. Allez-vous enregistrer cet opéra ?
Je pense que le livret de Métastase a été mis en musique par à peu près tous les compositeurs de l’époque ! Vinci en a écrit un pour Carestini, Hasse l’a fait pour Farinelli. La partition de Hasse est magnifique, mais elle est hérissée de difficultés. J’aimerais l’enregistrer, cela se fera peut-être.
Vous avez chanté le rôle d’Arsace dans Aureliano in Palmira de Rossini. La musique du XIXe siècle vous intéresse aussi ?
J’aime le bel canto, et s’il ne tenait qu’à moi… Entendons-nous bien, je suis ravi de défendre la musique de l’école napolitaine, mais j’ai une affection particulière pour le bel canto romantique. Le problème à présent, c’est de convaincre les directeurs de théâtre que je peux également chanter un répertoire postérieur à celui de la première moitié du XVIIIe siècle. J’adore Rossini, et je m’intéresse beaucoup au personnage de Velluti, le dernier castrat à avoir chanté sur scène, pour qui Aureliano in Palmira fut écrit, tout comme Il Crociato in Egitto de Meyerbeer. Mercadante a également composé pour lui. J’ai beaucoup chanté Tancredi, car c’est un rôle assez facilement abordable. Enfin, apparemment, les théâtres commencent à comprendre. L’an prochain, je chante Sesto à Nancy, j’aimerais beaucoup chanter Arsace dans Semiramide.
Quels sont vos projets ?
Nous travaillons actuellement sur Porpora, mais il est trop tôt pour en parler. Des intégrales sont prévues en 2014, Germanico in Germania de Porpora (un rôle écrit pour Caffarelli), et Catone in Utica de Vinci. En France, je vais chanter l’Orfeo de Gluck à Versailles et je donne un concert Caffarelli salle Gaveau. Parmi les productions scéniques auxquelles je vais participer, il y aura Riccardo Primo en février, mis en scène par Benjamin Lazar pour le festival de Karlsruhe, la reprise d’Artaserse à Versailles, puis La Clemenza di Tito à Nancy. En ce moment, je suis à Munich où je répète Semele de Haendel. On m’a laissé à venir à Paris pour quelques interviews, mais je repars aussitôt, la première a lieu le 24 octobre. J’adorerais chanter au Palais Garnier, rien n’est prévu à l’heure qu’il est. Nous verrons bien !
Propos recueillis et traduits le 27 septembre 2013