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Hommage à Henry Février (1875-1957)

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Actualité
11 février 2013

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Qui se souvient encore que, par-delà Pelléas et Mélisande et Ariane et Barbe-bleue, Maurice Maeterlinck connut son heure de gloire dans les années 1910 grâce à un troisième opéra aujourd’hui bien oublié, Monna Vanna, d’un compositeur tout aussi oublié, auquel nous rendons hommage en ce mois de février : Henry Février.

Henry Février est né en 1875, comme Maurice Ravel. Fils de l’architecte Jules Février, il est au Conservatoire l’élève de Massenet et de Fauré, enseignement que complètent les leçons particulières d’André Messager, son maître et ami. Tandis que son condisciple et exact contemporain Max d’Ollone remporte le Premier Grand Prix de Rome en 1897, tandis que Ravel échoue trois fois de suite entre 1901 et 1903, Février ne se fait guère remarquer. Pourtant, le 8 mai 1906, son premier opéra est monté Salle Favart, honneur insigne pour un jeune compositeur. L’œuvre, dédiée « A mon cher maître Gabriel Fauré », écrite sur un livret du futur sénateur Hugues Le Roux, ne connut que neuf représentations. Avec un titre comme Le Roi aveugle, on pourrait déjà se croire chez Maeterlinck ; Vieuille, créateur d’Arkel et bientôt de Barbe-bleue, y est le Roi, dans des décors de Jusseaume, comme pour Pelléas. Même s’il est beaucoup question de la mer (dont un chœur en coulisses, bouche fermée, donne constamment à entendre « les Voix »), le livret rappelle davantage Gwendoline de Chabrier : Eric le Viking vient enlever Hilda, la fille du Roi, et quand celle-ci succombe au charme de son amant, le souverain se jette dans l’eau et est changé en rocher. Rétrospectivement, Le Ménestrel devait porter sur ce premier essai un jugement assez sévère : « Ce petit ouvrage, dont le poème était malheureusement impossible, ne manquait pas de certaines qualités, mais ces qualités disparaissaient sous une violence instrumentale hors de toutes proportions avec le sujet, étaient noyées sous un orchestre féroce, dans lequel l’auteur semblait, en les faisant sonner tous ensemble et à tout propos, n’avoir pas trouvé assez de cuivres à sa disposition » (Le Ménestrel samedi 16 janvier 1909).
 
Malgré tout, le succès dut être suffisant pour que l’Opéra de Paris crée trois ans après Monna Vanna, d’après la pièce du même nom de Maurice Maeterlinck. Le 17 mai 1902, alors que le Pelléas de Debussy venait d’être créé,Monna Vanna fut donnée au Théâtre de l’Œuvre. Maeterlinck y changeait de style, renonçant aux obscures légendes et aux êtres diaphanes pour des drames de chair et de sang, à l’érotisme déclaré. D’abord cantatrice, Georgette Leblanc, compagne de l’écrivain, devint pour l’occasion comédienne (Debussy avait récemment refusé qu’elle soit sa Mélisande) ; Monna Vanna fut au théâtre un triomphe, qu’elle emmena en tournée à travers le monde, créant un véritable phénomène de mode. Il n’est donc pas étonnant que Henry Février ait très vite eu l’idée d’en tirer un opéra. En octobre 1904, Maeterlinck était heureux de constater que la musique de Février ne sonnait pas « Schola Cantorum », et il lui vendit les droits exclusifs, au grand dam de Rachmaninov qui, l’ayant appris, dut renoncer à en tirer lui aussi une œuvre lyrique, après avoir composé la partition piano-chant du premier acte (Février lui-même en viendrait bientôt à se plaindre que l’opéra de Budapest envisage la création d’une Monna Vanna hongroise). Les relations entre le compositeur et l’écrivain belge se gâtèrent pourtant et, à l’automne 1908, l’écrivain belge intenta un procès à Février au sujet de ses droits d’auteur ; il prétendait aussi lui interdire de donner Monna Vanna à l’Opéra, car cela interdisait à Georgette Leblanc d’en chanter le rôle principal, puisqu’elle était attachée à la troupe de l’Opéra-Comique. Cela ne suffit pas à compromettre l’entreprise, et Maeterlinck fut débouté en avril suivant.

Le 10 janvier 1909, la générale de Monna Vanna à l’Opéra de Paris fut donnée au profit des victimes du séisme qui, peu après Noël 1908, avait fait plus de 100 000 morts dans la région de Messine. Le 13 janvier eu lieu la première, et reçut un accueil mitigé. La critique y décela l’influence flagrante de Massenet, mais aussi celle du vérisme, tout en discernant des harmonies rappelant Chabrier. C’est le livret qui laisse sceptique : « Le choix de Monna Vanna est plus malheureux encore : c’est un drame historique, donc sans mystère, et raisonneur, donc sans lyrisme » (La Grande Revue 53, 1909). Le compositeur a opté pour une sorte de déclamation chantée, sans exclure la possibilité d’airs détachables, mais cette formule hybride semble n’avoir satisfait ni les tenants de la modernité (Debussy), ni les partisans de l’opéra traditionnel. « M. Février s’est très heureusement assagi et a compris que la musique n’est pas toujours et surtout un débordement de sonorités. L’orchestre de sa partition de Monna Vanna, dont il faut le louer sans réserve, est d’une sobriété remarquable, qui n’en exclut ni la plénitude, ni, à l’occasion, la vigueur. En dehors du quatuor, l’auteur a cherché ses effets – et il les a trouvés – dans les bois. C’est ainsi qu’il emploie d’une façon très heureuse les flûtes dans le médium et les clarinettes dans le grave, ce qui, avec une couleur excellente, donne à certains passages de douceur une finesse et une grâce toutes particulières ». (Arthur Pougin, La Semaine théâtrale). « Œuvre incomplète et inégale, Monna Vannacompte parmi les meilleures que l’Opéra ait représentées depuis un certain temps. Ses qualités l’emportent sur ses défauts. On ne lui a pas marchandé les critiques, pour des raisons où ses mérites n’avaient rien à voir. L’accession à l’Opéra d’un musicien, âgé à peine de trente ans, a soulevé des jalousies secrètes, dont le retentissement fut lointain. De plus, M. Février s’est trouvé englobé dans la campagne qui se mène en ce moment contre la direction de l’Opéra, laquelle aurait certes pu plus mal choisir le premier ouvrage inédit qu’elle nous présentait » (Jean Chantavoine, Revue hebdomadaire. La réussite de Monna Vanna auprès du public tint peut-être à sa distribution : Lucienne Bréval dans le rôle-titre (remplacée par Mary Garden à partir du 11 octobre 1909), Lucien Muratore en Prinzivalle et Vanni-Marcoux en Guido Colonna. L’opéra connaîtra 16 représentations au cours de l’année, mais deux seulement en 1910. La création bruxelloise, avec Lina Pacary, intervient dès le 27 janvier 1909 à La Monnaie, où Monna Vanna connaîtra 14 représentations durant la saison 1908-1909, pour n’être repris qu’en 1925. L’opéra sera redonné à Paris en 1918 et en 1937 (on parle de 80 représentations à l’opéra entre 1909 et 1946), à Bruxelles dans l’entre-deux-guerres et jusque dans les années 1950, ainsi que dans divers opéras de province. Les représentations données en 1958 à Besançon et à Rennes sont à l’origine de l’enregistrement publié par Malibran, à partir de bandes hélas très lacunaires. Si l’on ne saurait parler d’intégrale (il manque presque toute la deuxième moitié de l’œuvre), si l’orchestre est laminé par une prise de son assez limite, ce coffret n’en est pas moins irremplaçable dans la mesure où c’est aujourd’hui l’unique témoignage de l’art d’Henry Février. Alors toute jeune, Suzanne Sarroca trouve un rôle à sa mesure, l’entourage étant plus incertain. En complément, on trouve à peu près tous les airs enregistrés avant-guerre, notamment un magnifique Fernand Ansseau en Prinzivalle.
 

 

Pourquoi Monna Vanna a-t-il survécu jusque-là ? La réponse est simple : parce que de grandes chanteuses s’étaient emparées du rôle, y voyant un véhicule adéquat pour déployer leur talent. Ce rôle d’épouse qui se rend chez l’ennemi nue sous son manteau (et qui finit par quitter son mari pour s’enfuir avec lui) dégageait une sensualité troublante, au même titre que les personnages de femmes fatales dont raffolait le public de l’opéra comme du cinéma. Mary Garden, après avoir succédé à Lucienne Bréval, allait devenir l’ambassadrice de l’œuvre de Février, qu’elle imposerait outre-Atlantique. Dès octobre 1913, le compositeur déclare dans une lettre à André Caplet (élève de Xavier Leroux comme lui) qu’il se réjouit à cette perspective : « Mon cher ami, […] Je suis si heureux de voir Monna Vanna jouée à Boston, et surtout la pensée que c’est toi qui va monter mon œuvre m’est doublement agréable en raison de notre vieille et fidèle amitié ! » Le 5 décembre 1913, Monna Vanna est monté par la Boston Opera Company, d’abord avec Mary Garden, puis Marguerite Bériza (l’ex-femme de Muratore) ; Bériza chantera aussi ce rôle pour ses débuts en 1915 avec la Chicago Grand Opera Company, avant que Garden y brille à son tour. A New York, la Chicago-Philadelphia Company crée Monna Vanna le 17 février 1914, avec Mary Garden, Muratore et Vanni-Marcoux. La critique américaine est surtout sensible au wagnérisme de la partition : la rencontre de Prinzivalle et de l’héroïne rappelle Tristan, et le prélude orchestral du troisième acte évoque La Walkyrie. Monna Vanna était pour Mary Garden « un de mes rôles favoris. […] Personne, depuis Lucien muratore qui me donnait la réplique, n’a été capable de jouer le rôle de Ginello. Lorsque nous chantions Monna Vanna à San Francisco, nous faisions $31.000 de recette ! » écrit-elle dans ses mémoires. L’œuvre de Février fut également donnée à Buenos Aires ou Montevideo par les mêmes interprètes ; Yvonne Gall fut Monna Vanna à Rio en 1926 et, en Amérique, Claudia Muzio tint elle aussi le rôle dans plusieurs maisons d’opéra.

En 1913, Carmosine est créé à la Gaîté-Lyrique, sur un livret inspiré de la pièce qu’Alfred de Musset avait lui-même tirée d’un conte de Boccace. La partition « vise plus et plus souvent qu’on ne voudrait à l’effet immédiat et extérieur, à l’agrément consacré. L’influence de Massenet y est très sensible : non point tant à vrai dire par la coupe de ces phrases caressantes, si souvent imitées, et dont Massenet garda le secret, que par un art très adroit – et dont chacun pouvait faire en effet son profit – à présenter les thèmes et mettre en valeur les épisodes » (Jean Chantavoine, Revue hebdomadaire, 3 mai 1913).

La Première Guerre mondiale met entre parenthèse une partie de la vie musicale française, mais Henry Février ne cesse pas de composer pour autant. Il travaille à une adaptation de Gismonda, pièce que Victorien Sardou avait écrite pour Sarah Bernhardt une vingtaine d’années auparavant. La création eut lieu à Chicago le 14 janvier 1919 (grâce à l’intervention de Caplet, semble-t-il), suivie d’une série de représentations données à New York, au Lexington Theatre, par la Boston Opera Company, la première française ne venant que le 15 octobre, à l’Opéra-Comique. Malgré Fanny Heldy dans le rôle-titre, malgré le luxe de la production, la critique française se déclara déçue par cette œuvre qui ne tenait pas les promesses des premières compositions de Février. Le livret parut trop mélodramatique, et la partition fut jugée facile, conventionnelle, sans originalité, mais cette sévérité se teinte d’arguments patriotiques. Gismonda a censément été créée aux Etats-Unis « pour y porter un échantillon flambant neuf de notre musique française actuelle. C’est tout à fait comme si l’on eût chargé d’y aller représenter nos modes et nos arts les grands magasins de la Samaritaine, ou les établissements Dufayel. S’il existe une œuvre où les caractères de la musique française d’aujourd’hui fassent complètement défaut, c’est bien Gismonda » (Revue Hebdomadaire, janvier 1920). Même sévérité dans le Mercure de France : « Qu’un tel ouvrage ait pu, pendant la guerre, être subventionné et promené par notre propagande en Amérique en tant que spécimen de notre art musical français, en vérité, c’est un assez honteux scandale ».

La Damnation de Blanchefleur fut créée le 8 mars 1920 à Monte-Carlo, avec Marguerite Carré et Vanni-Marcoux dans les rôles principaux. Cet opéra a récemment fait l’objet d’une attention particulière sur le site operacritiques, où David Le Marrec va jusqu’à jouer au piano et chanter lui-même tous les rôles pour donner une idée de cette partition.
 

L’Île désenchantée, composé pendant la guerre (Février dit dans ses lettres écrire pendant les bombardements de la grosse Bertha), ne fut créé qu’en 1925. Cette histoire de druidesses de l’île de Sein (!) ne convainquit guère la critique.Lyrica dénonça les « effets usagés et faciles de la musique », chez un compositeur qui n’avait pas tenu ses promesses. Dans la Revue de France, Louis Schneider souligne des influences trop flagrantes (Massenet, Saint-Saëns) : « M. Henry Février, avec une maîtrise de musicien sûr de son métier, a illustré ce poétique scénario selon les règles formulaires de l’opéra traditionnel … Tout cela coule de source sans malheureusement retenir l’oreille par une note originale ».

Avec La Femme nue (Monte-Carlo, 1929), d’après Henry Bataille, Février quittait enfin les brumes symbolistes d’un Moyen Age de carton-pâte pour composer une œuvre située à son époque, à Paris. Le héros étant artiste-peintre, on crut y déceler des références aux Bohèmes dépeints par Puccini ou Gustave Charpentier. « C’est pour le public qu’écrit M. Henri Février. Son dessein est de plaire à ses contemporains, de ne pas les ennuyer, et de ne pas leur imposer, après dîner, l’effort de se pénétrer d’un art peu accessible aux foules. Mais, disons-le franchement, dans La Femme nue, il va, dans ce sens, un peu loin, et s’il reste dans cet ouvrage des passages fort agréables, très élégamment écrits, dignes du parfait musicien de Monna Vanna, il n’est pas moins vrai que d’autres pages témoignent d’un laisser-aller, d’une platitude et, parfois, d’une vulgarité décevantes » (Le Correspondant, 25 juillet 1932).

Outre ses opéras, Février composa aussi des mélodies, « L’Oiseau » étant la moins oubliée. Membre du conseil d’administration de la SACD, président de la SACEM sous Vichy, en 1943-44, Henry Février mourut en 1957. Il était le père du pianiste Jacques Février, et le grand-père de la compositrice Isabelle Aboulker.

 Le seul disque disponible sur le marché, qui permette d’entendre la musique d’Henry Février : Monna Vanna, extraits parus chez Malibran, 2 CD, MR712, 74’54 + 52’44

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