Krzysztof Warlikowski assure à l’Opéra Berlioz de Montpellier, du 15 au 19 mai, la reprise de sa mise en scène de Poppea e Nerone, production créée à Madrid en juin 2012 à partir de la nouvelle orchestration de L’Incoronazione di Poppea réalisée par le compositeur belge Philippe Boesmans. Disponible et courtois, c’est dans un français impeccable qu’il a accepté de répondre à nos questions.
Dans Poppea e Nerone, vous avez inventé un prologue nouveau, qui précède celui de Busenello. Comment vous est venue cette idée ?
De la lecture du livret et du personnage de Sénèque. L’œuvre rassemble des personnages historiques de la même génération, Nerone, Poppea, Ottavia, Ottone. Ils forment une classe d’âge. Sénèque aurait pu être leur professeur, du reste il a été le précepteur de Néron. Voilà comment j’ai eu l’idée de les rassembler autour de lui alors qu’il leur fait sa dernière lecture, avant de raconter leur histoire, quelques années après que cet enseignement a pris fin. Je me suis inspiré du dernier cours de Michel Foucault, comme un hommage.
Pourquoi montrer Sénèque malheureux alors que pour Busenello (II,1) il est serein ?
Parce que même si vous êtes un philosophe, quand on vous annonce que vous allez mourir, vous ne restez pas serein. Entendre une sentence, çà ne laisse pas indifférent, même si l’on est un stoïcien ! Quand on vous dit que vous avez un cancer, qu’il ne vous reste que quelques jours à vivre, peut-on rester impassible ? C’est humain de réagir.
Sénèque a échoué à rendre Néron vertueux. Est-ce son échec ou celui de la philosophie ?
C’est plutôt l’échec des philosophes qui s’allient avec le pouvoir dans l’espoir de l’influencer. Ils perdent toujours, ils se compromettent et ils échouent, on a vu cela au XXe siècle avec les Soviétiques, le marxisme, le fascisme, avec les nazis…Comme Sénèque des philosophes ont rêvé de former le gouvernant idéal, l’homme de pouvoir nouveau. C’est une alliance contre-nature dont les philosophes finissent par être les victimes, et cet échec est évidemment très douloureux.
Votre Sénèque regrette d’avoir sacrifié l’amour à la connaissance. Un peu comme Faust ?
Pas vraiment. Il n’y a pas chez Sénèque cet appétit universel, cette convoitise qui tend vers la domination. L’ambition de Sénèque est juste humaniste, pour lui et pour les autres. Bien sûr, le titre peut laisser croire à une histoire d’amour, mais c’est Roméo et Juliette chez les monstres. Le cynisme d’Amore, dans le prologue de l’opéra, je le conçois comme adressé à Sénèque ou peut-être émanant de sa méditation. Alors, a-t-il raté sa vie parce qu’il n’a pas eu d’histoire d’amour ? Oserait-on dire que Foucault a raté sa vie ?
Votre travail suscite souvent la controverse. Le souhaitez-vous ?
Ce n’est ni programmé ni voulu. Je ne cherche pas la provocation. Mais l’art ne nous dit pas des futilités, les artistes comme Verdi ne composent pas pour ne rien dire. Ils s’engagent dans leur art. J’ai des choses à dire, un niveau de responsabilité dans une production qui engage des fonds publics. Cela peut déplaire à qui considère que l’opéra est fait pour distraire. Mais il est rempli de drames, de parricides, de meurtres ! La matière de l’opéra ce sont les souffrances de l’être humain. Je cherche à les mettre en lumière. Et cela peut déranger. Mais c’est la nature de l’opéra de déranger.
Y a-t-il une œuvre que vous désireriez particulièrement porter à la scène ?
Non, pas dans l’absolu. Je suis particulièrement heureux d’avoir pu monter Wozzeck et Lulu, mais je suis ouvert à tous les répertoires, je suis curieux de nouveaux univers acoustiques et dramatiques, je suis toujours content de découvrir une esthétique nouvelle.
Propos recueillis par Maurice Salles le 5 mai 2013