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Les dîners lyriques au banc d’essai

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Actualité
25 septembre 2014

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Le tournant des années 2010 vit apparaître une nouvelle forme d’événement musical : le dîner lyrique, un concert repas – ou plutôt l’inverse, un repas concert – dont la vogue dura une poignée de saisons. Le principe en est simple : chaque plat est entrecoupé d’airs d’opéras chantés par d’authentiques artistes lyriques, parfois déguisés en serveur pour tromper les mangeurs. La chère est donc si triste qu’il faille l’égayer par des chants, pas toujours joyeux ? Enquête à l’Alcazar, un de ces établissements qui après avoir exploité puis abandonné la formule, l’a ressuscitée lundi dernier le temps d’une soirée.

Autrefois cabaret, désormais brasserie contemporaine, l’Alcazar est un de ces lieux que Paris aime engendrer : un volume original dominé par une verrière de douze mètres de hauteur, un style élégant induit par la pureté des lignes – plutôt années 30 –, une histoire aux frontières de la légende (Jim Morrison serait mort dans les toilettes du Rock’n Roll Circus, une discothèque qui à l’époque communiquait avec le restaurant), une atmosphère, un ton, un esprit. Dans Alcazar, il y a le mot « art ». Dès l’entrée, des toiles acidulées rendent hommage à Andy Warhol. L’œil, d’abord trompé par le kaléidoscope de vignettes multicolores, finit par reconnaitre les visages cachés derrière les images : Marylin Monroe, Serge Gainsbourg. Et Maria Callas ? Le piano au milieu des tables en rang serrées suggère sa présence.

A 20h30, la salle est encore vide. Elle ne se remplira que modestement. « Versez-nous le champagne », le quatuor de La Chauve-souris entame les agapes. Policés, les serveurs instillent dans les flûtes un Champagne Brut nature millésimé (2006) Louis Roederer cuvée Philippe Stark. La référence au designer se reconnaît à l’étiquette. Le breuvage a motivé la soirée. Les vins qui pétillent aiment l’opéra. Et réciproquement. Le lancement de cette nouvelle cuvée prestigieuse exigeait que le dîner fût lyrique. Véronique Chevallier, l’instigatrice du concept in loco en 2007, revient donc en compagnie de trois autres chanteurs – Nathalie Espallier, Joseph Kauzman et Marc Souchet – et d’une pianiste – Aline Piboule – , interpréter airs et ensembles du répertoire.


© Christophe Rizoud

L’alternance de musique et de mets fait que la soirée passe vite. Trop vite. Il aurait fallu en cuisine ralentir le tempo. Le menu lyrique, bien que précédé d’un apéritif et composé d’une entrée, un plat, un dessert, est expédié en moins d’une heure et demie. Une fois le repas terminé, si on est en forme, on commande – comme la table à côté – une nouvelle bouteille de vin. Si on l’est moins ou si la semaine s’annonce chargée, lundi soir oblige, on part sans avoir pu applaudir la totalité du programme.

Mis à part le quatuor liminaire et un trio du grill, extrait de Pomme d’api, délicieuse opérette d’Offenbach que l’on se doit d’écouter au disque interprétée par Mady Mesplé et Jean-Philippe Lafont, les partitions n’ont pas été choisies en fonction de leur sujet, gastronomique ou œnologique. Certes, Marc Souchet lance « Votre toast, je peux vous le rendre » mais ce sont moins les paroles que la renommée qui vaut à l’air d’Escamillo de figurer au programme. Le baryton, applaudi la saison dernière dans une version française de La traviata Espace Cardin, marque une nouvelle fois des points. La diction est claire, la projection affirmée et la voix suffisamment longue pour triompher d’une écriture inconfortable (« Ils veulent de la m…, eh bien ils en auront ! » aurait dit Bizet à propos de ce morceau de bravoure imposé par ses librettistes).

C’est que – ô surprise ! – l’acoustique de la salle laisse tout loisir d’apprécier la qualité des interprètes. A condition que les dîneurs veuillent bien faire silence. Dans un coin à droite, deux hommes, que l’on dirait d’affaire si leur tenue vestimentaire était moins décontractée, n’interrompront jamais leur discussion. Si insolite soit l’irruption soudaine de la musique en un tel lieu et en un tel moment, rien ne les fera taire. Ni le duo des Pêcheurs des perles où l’on découvre, séduit, le timbre de de Joseph Kauzman, ni celui des fleurs extrait de Lakmé où l’on pressent le métier de Nathalie Espallier. C’est là le défi que doivent relever les artistes invités : réussir à capter l’attention envers et contre l’intérêt des conversations et le plaisir des papilles. Sacré challenge ! Tataki de saumon au sel fumé et gingembre, Blanc Manger de mozzarella fumée ou thon mi-cuit au pavot… Le palais a vite fait de prendre l’avantage sur l’oreille.

Avec « Ebben n’andro », encore un tube depuis que Jean-Jacques Beneix en a fait l’oriflamme sonore de son film Diva, Véronique Chevallier réussit à inverser la tendance, jusqu’à un certain point. Les deux bavards, sans cesser de parler, baissent d’un ton. A gauche, un couple suspend son babillage amoureux. Elle, le regard soudain brillant, a stoppé le mouvement de ses couverts juste au-dessus de sa boule de glace vanille en surplomb d’un moelleux mi-cuit au chocolat. Lui, moins concerné, garde la cuillère plongée dans ses figues rôties. Pourtant, s’il voulait bien sortir le nez de son assiette, le moment est magique. Même hors contexte, – ou justement parce que l’endroit est drôle pour une telle rencontre – l’air conserve son impact. L’effet doit autant à Valérie Chevallier qu’à Catalani, compositeur italien qui sans cet unique titre de gloire aurait été malheureusement relégué aux oubliettes. De la même manière qu’ingrédients et recette ne sont pas gage d’un plat réussi, notes et partition ne font pas tout, il faut là un cuisinier, ici un soprano au medium solide capable d’installer la tension et d’en maintenir l’intensité jusqu’au climax libérateur. Le chant, quand il est ainsi maîtrisé et vécu, élève le propos. L’émotion s’invite à table. Une fois les applaudissements passés, avant qu’un court silence n’en révèle la troublante présence, elle a fui. Elle reviendra, plus tard, de la même façon, par surprise et son apparition inattendue suscitera le même trouble.


Véronique Chevallier © Cyril Moreau

« Cela nous ramène aux origines de l’opéra, quand les spectateurs se faisaient servir des repas dans les théâtres », s’enthousiasme Michel Besmond, le directeur de l’Alcazar. Pour autant, ce lundi lyrique n’aura pas de suite, du moins régulière. « Pas assez de monde… Il faut une salle comble pour que le principe fonctionne… ». Evidemment mais pourquoi choisir le jour le moins animé de la semaine pour organiser ce genre d’événement ? Pour trouver une nouvelle clientèle ? Ou pour ne pas effrayer les familiers du lieu, habitués du jeudi au dimanche aux « meilleurs DJ de la capitale » ? Dommage mais pas tant que ça. Ces diners lyriques ont-ils vraiment vocation à devenir un rendez-vous hebdomadaire ? La soirée fut certes exceptionnelle, mais l’habitude ne sied pas à l’exception.

 

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