Un nuage céleste dans lequel l’air manque, étouffé par la poussière, et dont les volutes nimbées par la lumière font la beauté : c’est là tout le charme de la voix de Romina Basso.
Mezzo à l’étendue limitée, son médium fuligineux laisse échapper par moment des aigus furtifs qui viennent étoiler une composition extrêmement détaillée, absolument belcantiste, presque maniériste. En scène, son visage n’évolue qu’en diagonale tandis que ses lèvres passent d’un retroussement extrême à un arrondi parfait ; la main gauche vient aussi régulièrement sculpter le nuage sonore qu’elle transperce d’œillades. C’est dans les da capo et les cadences que le spectacle est le plus puissant, tout ce jeu se mettant au service de rubato, diminuendo ou accelerando exécutés avec surprise et précision. Cela ne serait qu’esbroufe si Romina Basso ne savait doser ses effets et les utiliser pour renforcer violemment l’expressivité des traits musicaux. Ce n’est donc pas tant dans la virtuosité héroïque qu’elle est stupéfiante que dans les airs fortement dramatisés où elle fait claquer les syllabes et mord rageusement les consonnes.
C’est Alan Curtis qui le premier la révéla, en lui confiant, dans le Motezuma redécouvert de Vivaldi, les airs à l’allant mélancolique de Ramiro qu’elle irisait déjà avec une maitrise du souffle et des effets confondants.
Parmi les meilleures mezzo coloratures, elle a su se faire une place depuis chez Vivaldi : en guise d’aperçu on citera un pastoral « Tal’or il gelsomin » tiré de l’Armida et dans lequel elle s’insinue avec grâce parmi les instruments, même ses respirations participent au charme de sa composition dansante, toute en finesse.
A l’inverse le grand air de Teseo, dans l’Ercole sul Termodonte, avec ses moments suspendus entre deux cascades de vocalises retorses lui permet de faire montre de son panache, mais c’est surtout la façon dont elle achève les phrases qui impressionne, laissant supposer qu’il lui reste du souffle, de l’énergie ; on craint de voir le félin donner un coup de griffe.
Les spectateurs parisiens se souviendront aussi longtemps d’une Juditha Triumphans au Théâtre des Champs-Elysées où elle avait fasciné une salle suspendue à ses lèvres, loupant singulièrement l’intériorité sacrée du personnage éponyme mais lui conférant une aura inédite. La performance était d’autant plus mémorable qu’elle remplaçait une collègue au pied levé.
Son lamento de Didon surligne encore plus cette inaptitude au lâcher prise, à trop vouloir contrôler elle manque parfois de simplicité, même si l’élégance et la puissance sont toujours là.
Si cependant l’on n’est pas gêné par cette préciosité impactante, on pourra se ruer sans hésitation sur son unique récital, qui regroupe des lamenti du XVIIe siècle italien et qu’elle investit d’une fougue dérangeante.
Mais là où elle resplendit le plus, c’est sans conteste au début du Siècle : dans les mélopées énergiques et assertives d’Alessandro Scarlatti d’abord. Notes et texte sont sculptés avec un soin exhaustif, dans le tourment comme dans les emportements belliqueux, ce chant transpire une sensualité méticuleuse et envoutante.
Même émerveillement avec chez Fux, son splendide Orfeo ed Euridice.
On retrouve cet art inimitable du verbe et de la prosodie lorsqu’elle aborde Haendel et sa profondeur psychologique. Témoin, son très beau Tolomeo dans Giulio Cesare, qui trouve avec elle une virilité et une noblesse inédite, loin des crises d’hystérie dont ce personnage est souvent affublé.
Même intensité et hargne pour son machiavélique Tauride, dans Arianna in Creta, où, à chaque silence, le personnage semble réfléchir avec une délectation cruelle à la phrase qui va suivre.
DISCOGRAPHIE
2006
Vivaldi, Motezuma – Curtis (Archiv)
2007
Vivaldi, L’Atenaïde – Sardelli (Naïve)
Porpora, Notturni per i Defunti – Demicheli (Fuga libera)
2008
Handel, Tolomeo – Curtis (Archiv)
2009
Galuppi, L’Olimpiade – Marcon (Dynamic)
Vivaldi, Nouvelles découvertes – Sardelli (Naïve)
2010
Handel, Berenice – Curtis (Virgin)
Handel, Giulio Cesare (Tolomeo) – Petrou (MDG)
Handel, Cantates italiennes (vol 5&6 incl. Duello Amoroso) – Bonizzoni (Glossa)
Handel, Vespro per la Madonna del Carmelo – Feruglio (ClassicVoice)
Vivaldi, Ercole sul Termodonte – Biondi (Virgin)
Vivaldi, Armida all campo d’Egitto – Alessandrini (Naïve)
2012
Handel, Giulio Cesare (Cornelia) – Curtis (Naïve)
Pasticcio, L’Olimpiade – Marcon (Naïve)
Vivaldi & Ristori, Orlando – Sardelli (Naïve)
Vivaldi, Orlando Furioso – Spinosi (Naïve DVD)
Vivaldi & Giacomelli, L’Oracolo in Messenia – Biondi (Erato)
2013
Jommelli, Musique sacrée – Prandi (DHM)
Scarlatti A., Carlo re d’Allemagna – Biondi (Agogique)
Vivaldi, Catone in Utica – Curtis (Naïve)
2014
Récital, Lamento (Latinitas Nostra)
2015
Veracini, Adriano in Siria – Biondi (Fra Bernardo)
Un récital avec V.Genaux, ME.Nesi et S.Prina sous la direction de George Petrou est prévu chez Decca.
Rôles diffusés uniquement à la radio/tv
Fux, Orfeo e Euridice – Florio (2010)
Handel, Admeto – Curtis (Cracovie 2014)
Handel, La Resurezzione – McCreesh (London 2010) & Biondi (Cremona 2009)
Handel, Il Trionfo del Tempo e del Disinganno – McCreesh (Beaune 2010)
Mozart, Ascanio in Alba – Dantone (Modena 2006)
Paisiello, Annibale in Torino – Dantone (Turin 2007)
Purcell, Dido & Aeneas – Pierlot (Nantes 2006)
Scarlatti A., La Santissima Annunziata – Biondi (Utrecht 2005)
Scarlatti A., La Vergine dei dolori – Alessandrini (Paris 2007) & Biondi (Vienne 2005)
Vivaldi & alii, Bajazet – Biondi (Montpellier 2006)
Vivaldi, Juditha Triumphans – Marcon (Amsterdam 2009)
Vivaldi, La Senna Festeggiante – King (Paris 2013)
Récital (avec R.Invernizzi) Pergolesi, Jommelli & Leo – Curtis (Paris 2011)
Récital (avec MG Schiavo) Benevoli & Provenzale – Florio (Cracovie 2010)
Récital Vivaldi, Legrenzi & Hasse – Biondi (Bruxelles 2013)