Elle fut l’une des femmes les plus fascinantes de l’histoire de la musique et pourtant son nom nous reste relativement inconnu. Vitězslava Kaprálová avait tout pour elle : la jeunesse, le beauté, le talent. Tout, peut-être, sauf la santé. De constitution fragile, elle fut fauchée à l’âge de 25 ans par une maladie que la médecine ne put véritablement diagnostiquer. Elle eut pourtant le temps de supplanter tous ses compatriotes sur le terrain de la mélodie, genre dans lequel aucun autre Tchèque (pas même Dvořák) ne parvint à s’imposer de la sorte. La sortie (en anglais) du Kaprálová Companion est l’occasion idéale pour partir sur les traces de cette artiste hors norme…
Sluničko [« petit soleil »]. Tel est l’affectueux surnom que Viktorie Kaprálová donne à sa petite Vitězslava, née à Brno le 24 janvier 1915. En juin de la même année, le père de la fillette, Václav Kaprál, jeune compositeur ayant étudié avec Leoš Janáček, est réquisitionné par l’armée impériale et envoyé en Albanie pour toute la durée de la guerre. A son retour, en 1918, il reprend son cursus musical et fréquente notamment les cours de Vítězslav Novák au Conservatoire de Prague. De son côté, Viktorie, chanteuse lyrique, perfectionne sa technique vocale avec Kristina Morfová, soliste au Národní divadlo [Théâtre National de Prague].
En 1920, Viktorie donne ses premières leçons de piano à Vitězslava [Vitulka], à peine âgée de 5 ans. Le 1er septembre suivant, la fillette entre à l’école dans la banlieue de Brno. En 1923, ses parents divorcent officiellement et Václav effectue un premier séjour à Paris. Il y étudie avec Alfred Cortot à l’Ecole Normale de Musique et rencontre Bohuslav Martinů. De santé fragile, sa fille fait quant à elle une première cure au sonatorium de Starý Smokovec, en Slovaquie (dans les Hautes Tatras). A 9 ans, malade, elle jette sur papier sa première véritable composition, V řísi bájí [Du domaine des fables], plus tard publiée dans le recueil pour piano Z mých nejrnějších skladeb [Mes œuvres de jeunesse]. Tandis qu’en 1925, Václav se rend de nouveau à Paris, la fillette continue à écrire de petites pièces pour le clavier. L’une d’entre-elles est dédiée au président Masaryk. En retour, elle reçoit un petit mot du bureau du chef de l’état daté du 20 janvier 1926 : « Nous vous informons que le président est ravi que vous lui ayez dédié votre composition. Il se réjouit que malgré votre jeune âge, vous vous soyez inspirée d’un livre sérieux tel que L’Histoire de notre nation [Dějiny našeho národa] pour vous exprimer en musique. Au nom de notre président, nous vous remercions cordialement pour cette attention et vous souhaitons le meilleur pour vos futures études de musique et de composition ».
La santé de Vitulka restant fragile, elle se voit contrainte d’effectuer plusieurs séjours de longue durée à Strarý Smokovec. Parallèlement, les piécettes pour clavier s’enchaînent, ainsi qu’une première composition vocale pour chœur d’enfants et piano (Matičce [A maman]) sur un texte de Jan Neruda. La rentrée de septembre 1930 voit l’adolescente entamer un cursus complet au Conservatoire de Brno malgré… la désapprobation de ses parents ! Ils ne peuvent cependant rien contre la volonté de leur fille qui étudie donc l’harmonie, le piano (elle joue Ravel), l’accompagnement, l’esthétique, l’histoire de la musique, l’orchestration, la direction (avec Zdeňek Chalabala) et la composition (avec Vilém Petrželka, ancien « camarade » de Václav Kaprál dans la classe de Janáček). Avec quelques amis, elle fréquente l’opéra de la ville et assiste à des représentations de Wozzeck, Boris Godounov, Khovanschina, La Petite Renarde Rusée, L’Affaire Makropoulos, Les Excursions de Monsieur Brouček et du Prince Igor. Ses propres œuvres se diversifient : pages pour piano, violon et piano ainsi que les premières mélodies, Dvě písně [Deux chansons] op. 4 (1932), etc. L’esthétique post-romantique teintée de chromatisme (voire de polytonalité) et d’une touche d’impressionnisme qui y règne rappelle les œuvres paternelles mais laisse déjà apparaître un style personnel. Avec la Sonata appassionata op.6 (pour piano), Vitězslava prouve à ses professeurs qu’elle a assimilé les principes de la « grande forme » (la pièce est constituée de deux mouvements : l’un est un allegro de sonate classique, l’autre une série de variations). Dans le domaine vocal, la mélodie Leden [Janvier (mars 1933)] se distingue par un effectif des plus inhabituels (soprano, piano, flûte, deux violons et violoncelle). Sur un texte du poète surréaliste Vitězslav Nezval (qui est, avec le (futur) prix Nobel Jaroslav Seifert, son auteur préféré), elle utilise des modulations plutôt inattendues et laisse en suspend la question de la forme (ABA ? Durchkomponiert ?).
Ces pages valent à Kaprálová des critiques dithyrambiques dans la presse régionale et nationale -dont les prestigieux Lidové noviny, Morávské noviny et Národní noviny. C’est aussi l’époque des premières publications importantes chez Pazdírek. Toujours à Brno, elle entreprend le Concerto pour piano op.7 dont le premier mouvement est créé le 17 juin 1935 par le pianiste Ludvík Kundera, ami de Václav et père de l’écrivain Milan Kundera. Quelques jours après ce concert, Kaprálová est diplômée et lauréate du Prix František Neumann de la meilleure composition estudiantine de sa promotion. A la rentrée suivante, alors que son père est nommé professeur au Conservatoire de Brno, elle intègre celui de Prague afin de se perfectionner auprès de Václav Talich pour la direction et Vitězslav Novák en matière de composition. Au cours du premier semestre, le nombre de leçons avec le chef se compte sur les doigts d’une main, ce qui la pousse à qualifier cette classe de « vaste blague ». De son côté, Novák lui donne du fil à retordre avec une passacaille dont il rejette les sept premières versions avant d’accepter avec humour la huitième où, exaspérée, elle a écrit « tout à l’envers » (cette pièce, proposée au concours organisé par le périodique Tempo sous le titre de Passacaille grotesque reçoit le premier prix!). En guise de « travail de fin d’étude », elle compose la Vojenská Symfonietta [Sinfonietta militaire], dont elle dirigera la création à la tête de l’Orchestre Philharmonique Tchèque. Arrivé à Prague en mars 1937 pour préparer la création de Juliette ou la clé des songes avec Talich, Bohuslav Martinů rencontre Vitězslava le 8 avril. Le 8 juin suivant (deux semaines avant d’être diplômée du Conservatoire de Prague*), elle fait une demande de bourse pour partir à Paris, afin d’y étudier à l’Ecole Normale de musique avec Nadia Boulanger et Charles Munch. La requête est acceptée et l’on retrouve effectivement Kaprálová sur la photo de groupe de la classe du chef français. En revanche, il n’en va pas de même pour les cours avec Boulanger. Cette dernière se trouve souvent à l’étranger et ne pourrait que difficilement communiquer avec son élève tchécophone. C’est en Martinů – qui l’a expressément encouragée à venir à Paris plutôt que d’aller à Vienne pour mieux l’avoir à sa portée – que Vitulka trouve un professeur de choix, un ami et un amant. L’homme étant marié, nombre de leurs soirées se passent au Dôme, célèbre café de Montparnasse où Martinů, comme tant d’autres artistes, a ses habitudes. En 1947, il se remémore leurs séances de travail en ces termes : « [elle] comprenait très vite, presque avant que je n’aie fini de lui faire part de mes arguments, mais elle ne les acceptait qu’après les avoir examinés de manière approfondie, reconnu que ces arguments étaient vraiment en phase avec ses idées et qu’ils étaient adaptés au problème qui la préoccupait ».
de gauche à droite, Vaclav Kapral, Vytezslava Kapralova et Bohuslav Martinu
Martinů voit en Kaprálová un avatar de la Juliette de son opéra, idéal féminin caractérisé par un motif descendant de trois notes que l’on retrouve dans ses œuvres (et dans celles de Vitulka) comme une allusion à leur aventure amoureuse. De son côté, la jeune compositrice esquisse une cantate, Ilena, d’après un matériau populaire puisé dans les anthologies de František Sušil. L’œuvre restera inachevée. Egalement laissé à l’abandon, un trio pour hautbois, clarinette et basson commencé au même moment (décembre 1937). Une bonne nouvelle lui parvient le lendemain de Noël : le pianiste Rudolf Firkušný l’informe que sa Sinfonietta a été sélectionnée pour représenter la création tchèque contemporaine au festival de la Société Internationale de Musique Contemporaine (SIMC) à Londres –le jury se compose, entre autres, d’Aloïs Hába, Ernest Ansermet, Adrian Boult et Darius Milhaud.
En janvier 1938, Martinů travaille à ses Tre ricercari H. 267. Il y tient compte des suggestions de Kaprálová – surnommée Písnička [chansonnette] – et, dans leur correspondance, les mentionne toujours comme « nos ricercari ». Lorsque Charles Munch les dirige à Paris le 8 mai 1939, Vitězslava les qualifie de magnifiques [překrásný] et précise qu’ils ont reçu un « succès triomphal » – c’est là la seule œuvre de son aîné qu’elle mentionne dans son journal personnel. Sur les conseils de son « professeur », Vitulka orchestre Sbohem à šáteček [« L’adieu et le mouchoir », sur un texte de Vitězslav Nezval], l’une des meilleures mélodies composées à Prague. Dans cette page entièrement marquée par la seconde majeure descendante entendue dès la première mesure et au sein de laquelle on retrouve quelques rythmes dits « lombards » mais caractéristiques de la musique populaire morave, Kaprálová fait montre d’une belle maîtrise de la formation symphonique et souligne les passages « sombres » du texte par des sonorités graves de basson, de clarinette basse et de violoncelle -preuve supplémentaire de l’importance accordée à la sémantique du poème. La création de la version orchestrale aura lieu à titre posthume à Brno, le 31 octobre 1940, sous la direction de Rafael Kubelík.
En février 1938, Vitězslava et Bohuslav composent chacun une courte mélodie intitulée Koleda milostná [« Noël d’amour », d’après Sušil]. Si la jeune femme avoue à ses parents préférer la version de son aîné, la sienne est tout aussi excellente et les deux sont aujourd’hui publiées ensemble. Au même moment, elle entame ses Variations sur le carillon de l’église Saint-Etienne du mont, chef-d’œuvre pour le piano publié par La Sirène Musicale grâce à l’entremise de l’auteur de Juliette. Ce dernier demande également à Václav Talich d’appuyer le renouvellement de la bourse de sa protégée pour l’année suivante. Après un voyage dans le sud de la France, à Monaco et en Italie, elle dirige (entre autres) le Concerto pour clavecin et orchestre de Martinů lors d’un concert organisé par l’Association internationale des écrivains pour la défense de la culture (le 2 juin).
Les amants partent ensuite à Londres pour le festival de la SIMC. Sous la direction de la jeune femme, le BBC Symphony Orchestra ouvre le programme avec la Sinfonietta militaire. Des œuvres de Bartók, Britten, Copland, Hartmann, Hindemith, Křenek, Messiaen et Webern sont également mises à l’honneur. Martinů télégramme aux parents de Kaprálová : « Le concert s’est bien passé, Vitulka a dirigé « comme un lion » et cela a été un grand succès. Enverrons des coupures de presse. Félicitations et salut. » Pour les deux Tchèques, l’été se passe au pays. Séparément d’abord, ensemble ensuite. Malheureusement, la rentrée de septembre coïncide avec la signature des « accords de Munich ». La Tchécoslovaquie considérant cet acte comme une trahison de la part de la France, l’axe Paris-Prague est presque complètement rompu et Káprálová éprouve quelques difficultés à obtenir le renouvellement de sa bourse d’études. Son départ pour Paris s’en trouve retardé. La « réponse » musicale de Martinů réside d’abord dans le Double Concerto pour orchestre à cordes, piano et timbales, œuvre saisissante inspirée par la situation politique et par l’éloignement de sa jeune maîtresse.
Vitězslava ne quitte Prague pour la France que le 10 janvier 1939. Arrivée le lendemain, elle passe la soirée avec Martinů. Pas plus que lui, elle ne reverra son pays natal. Dix jours plus tard, elle écrit une pièce pour violon et piano (Elégie) et un mélodrame à la mémoire de l’écrivain Karel Čapek, disparu le jour de Noël de l’année précédente. Son moral n’est pas bon et elle précise dans son journal qu’elle est « triste et triste » (21 janvier). « Comment le cacher à [Martinů] ? » se demande-t-elle… Le 18 mars – soit trois jours après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes allemandes – Martinů tente de leur obtenir un visa pour les Etats-Unis (requête qui n’aboutit pas malgré l’insistance du compositeur auprès de son ami [et futur biographe], le diplomate Miloš Šafránek). De son côté, Kaprálová ne cesse de composer. Outre la géniale Partita pour piano et orchestre à cordes op. 20, enfantée dans la douleur, plusieurs de ses plus belles mélodies voient le jour – dont les Písen tvé nepřitomnosti [Chansons de ton absence] op.22.
Le 27 avril, par l’intermédiaire du peintre Rudolf Kundera, elle fait la connaissance de Jiří Mucha, écrivain et fils d’Alfons Mucha. Ils se rencontrent au café Bonaparte, à Saint-Germain-des-Prés. Elle y discutait avec l’un de ses prétendants avant d’être abordée un peu cavalièrement par les deux jeunes hommes. Mucha raconte : « Ils se tenaient devant le comptoir : Kapralová mince, petite, face au bar et Hauner, à demi tourné vers elle, lui racontant quelque chose de son parler bredouillant. Après bien longtemps, je revoyais son visage familier – ses lunettes à la monture noire, ses cheveux épais et foncés, ses lèvres charnues, ses traits anguleux. « Je vais te présenter, si tu veux. ». « D’accord, mais lui ? ». Sans attendre ma réponse, Kundera entra dans le café et saisit l’épaule de Kaprálová : « Ne reste pas avec ce connard et viens avec nous. ». Elle tourna la tête, surprise, mais déjà, il l’avait prise par la main et l’entraînait dans la rue. Hauner se figea, mais je me désintéressai de lui : devant moi se tenait une jolie petite créature qui riait joyeusement. « Allez, faites connaissance », ordonna Kundera. Nous fîmes connaissance. […] Nous finîmes chez moi, dans cette petite chambre sans fenêtre pourvue d’une simple vitre dans le plafond mansardé. Quand la lumière était éteinte, on distinguait les étoiles. Quand il pleuvait, on percevait le murmure de la pluie sur la vitre. Comme une musique très silencieuse. Cette nuit-là, Vitka ne rentra pas chez elle. ». De son côté, la jeune femme note laconiquement dans son journal « soirée avec Mucha, Kundera et Hauner. Nous sommes allés chez Jíři »…
Kaprálová n’abandonne pas Martinů pour autant. Au mois de juin suivant, elle écrit à ses parents son intention de s’installer avec le compositeur – qui semble par ailleurs se soucier assez peu de sa femme, Charlotte. Martinů et Mucha collaborent ensemble à la composition d’une Polní mše [Messe de campagne (militaire)] dont le compositeur écrit la musique aussi rapidement que l’écrivain lui fournit le texte. L’œuvre est destinée aux soldats tchécoslovaques en « exil ». Martinů note : « Nos gars sont mobilisés et ils partent vers le sud de la France… Je voudrais leur envoyer une composition qu’ils exécuteraient eux même et dont il sauraient qu’elle a été faite pour eux – que nous pensons à eux et que nous sommes avec eux ». Chef-d’œuvre absolu, la pièce est le résultat de la collaboration de deux artistes convoitant un même cœur, celui d’un « petit génie volage et sémillant » (Mucha dixit).
Kaprálová ne cesse quant à elle de composer. Le 18 décembre, elle entame un Prélude de Noël, miniature orchestralequ’elle enregistre… 4 jours plus tard à la tête de la formation de Radio Paris au studio Jean Masson du 22 rue Bayard. L’émission, intitulée « Noël à Prague », est diffusée le 24 décembre sur les ondes de la Tchécoslovaquie occupée. Sur la page de garde de son agenda 1940, elle inscrit « Viktorie Martinů ». Profession : « épouse »… Cette dernière année de sa courte vie est pourtant d’abord celle des fiançailles avec Mucha ! Elle à Paris – où elle prend enfin quelques cours avec Nadia Boulanger –, lui à Agde où les forces tchèques (dont il fait partie) sont stationnées, le couple ne se voit qu’à la faveur des congés et permissions de Mucha et des visites de Kaprálová à la caserne (où, selon une déclaration récemment publiée de Rudolf Firkušný, témoin de cette époque, elle se comporte « comme une nymphomane » avec les hommes présents ? !). Le mariage a lieu le 23 avril à 10h30 mais Vitulka passe la matinée précédant la cérémonie avec… Martinů ! Le 28, elle compose sa dernière mélodie. Dopis [Lettre] est écrite sur un poème de Petr Křička publié en 1938 mais dont elle ne garde qu’une portion congrue des 60 vers d’origine. Au bas du manuscrit, Vitulka résume elle-même le texte en français :
Un jeune homme répond a [sic] son amour :
vous m’avez écrit « non », soit ! Le destin
nous a séparé [sic.] Je l’ai regretté mais je
vois que vous êtes heureuse et c’est
pourquoi je suis heureux. Je ne veux pas
dire qui est coupable et qui perd plus.
Autres fois [sic] il y avait deux chemins aujourd’hui
il n’y en a qu’un seul. Enfin peut-être
tu reviendras, parce que Dieu est un
grand artiste, et personne ne connaît ses
projets.
Le choix du texte et le parti pris de ne conserver que la partie des « adieux » (là où Křička exprime bien d’autres émotions) semble résonner comme une allusion à son histoire avec Martinů. Quoi qu’il en soit, une semaine après le mariage, les premiers symptômes de la maladie qui emportera Kápralová se manifestent sous forme de violents maux d’estomac. Etudiant en médecine, Mucha lui conseille de consulter. Quelques jours plus tard, le 10 mai, elle est admise à l’hôpital Girard, à Paris. Le 19, Martinů lui rend visite pour la dernière fois. Mucha la fait ensuite transférer à l’hôpital Saint-Eloi de Montpellier, où il peut se rendre plus facilement. Faute de véritable diagnostic (malgré une opération de chirurgie exploratrice), Kaprálová n’est pas traitée. Elle meurt le dimanche 16 juin 1940, à 15h00, en prononçant les mots « To je Julietta » [« C’est Juliette »], comme si elle entendait la musique de l’opéra de son ancien amour… Cause officielle : tuberculosis miliaris – hypothèse sujette à caution. La petite « chansonnette » n’a que 25 ans. Elle est enterrée le lendemain de sa mort au cimetière Saint-Lazare de Montpellier. Sa dépouille est transférée au Père-Lachaise le 12 novembre 1946 pour être ensuite incinérée et ramenée dans son pays natal le 16 juin 1949.
Outre les pages pour piano et/ou pour orchestre mentionnées, Kaprálová s’impose à nos yeux comme la plus grande compositrice tchèque de mélodies – genre, il est vrai, peu prisé par l’école nationale du pays. Elle en parlait d’ailleurs comme de son « plus grand amour » et n’avait pas son pareil pour marier la voix au piano – l’instrument n’ayant toujours besoin que de quelques mesures pour instaurer le climat que lui inspirait chaque texte. Des nombreuses « influences » et expérimentations trouvées dans la trentaine de pièces écrites pour la voix, nous retiendrons un chromatisme post-romantique subtilement allié à des passages en bitonalité et autres couleurs impressionnistes héritées de Novák, Martinů et Debussy. Peu originales du point de vue formel, ces compositions fourmillent d’allusions subtilement descriptives, de trouvailles harmoniques voire de messages (d’amour) cryptés. Kaprálová y fait également preuve d’un sens consommé de la prosodie, suivant avec savoir-faire les inflexions particulières de la langue tchèque. Quoique de dimensions modestes, ces pages débordent d’ambition, personnelle et artistique. Il n’est pas rare que sa musique apparaisse comme l’exact miroir de sa personnalité telle que décrite par Mucha : « Malgré sa silhouette petite et fragile, elle était formidablement sûre d’elle et énergique, surtout pour celui qui ne s’y attendait pas. A la première rencontre, les gens l’acceptaient habituellement avec une tendresse amusée – jusqu’à ce qu’ils se heurtent à sa volonté sans compromis. Elle soulignait sa petite stature jusqu’au ridicule, jouait à l’enfant, marchait à quatre pattes et sautait sur les gens auxquels elle voulait prouver son attachement comme un chiot dans les bras de son maître. Et l’instant d’après, elle était tranchante, agressive, ironique. Elle avait appris à vivre avec sa petite stature et, dans chaque situation, arrivait toujours à dominer. ».
Nul doute que son langage musical aurait évolué au fil des ans, de l’histoire et des « avancées » esthétiques du XXe siècle. Vers quoi ? Nous n’en saurons jamais rien. Reste que sa disparition prématurée a privé la musique d’une artiste aussi géniale et prometteuse qu’attachante. La lumière du petit soleil s’est éteinte loin de son pays natal, qu’elle aimait tant. Martinů reprit la vie avec Charlotte (non sans autres infidélités) et Mucha se remaria avec Geraldine Thomsen, musicienne rencontrée à la BBC au début de la guerre. Toutefois, le souvenir du petit bout de femme qui, dans les années 1930, illumina leur vie et bouleversa leur cœur les suivit jusqu’au bout. Nous ne l’oublions pas non plus…
* Diplôme qu’elle reçoit avec le commentaire suivant : « Toutes les réalisations musicales de Mlle Vítězslava Kaprálová témoignent d’un esprit jeune, doté d’un tempérament vif et d’une audace créatrice. Grâce à son inspiration spontanée et à sa belle technique de composition, Mlle Káprálová a travaillé avec facilité, mais pas superficiellement, obtenant de remarquables succès dans le domaine de la composition pianistique, vocale, symphonique et de la musique de chambre. Sont talent évident autorise les meilleurs espoirs ».
Bibliographie sélective :
– A. Březina,« A Fantastic Learning Experience in Composing for String Orchestra : Martinů’s Interventions in Vitězslava Kaprálová’s Partita (1938), Czech Music : Journal of the Dvořák Society for Czech and Slovak Music 21 (1999-2000) : 155-180
– K. Hartl, E. Entwistle (éd.), The Kaprálová companion, Lanham, New York, etc., Lexington books, 2011
– K. Hartl (ed.), The Kaprálová Society Journal (2003-2011), http://www.kapralova.org/JOURNAL.htm
– T. Jandura, « Her own Voice : The Art Song of Vitězslava Kaprálová, DMA diss., University of Arizona, 2009
– V. Kaprálová, Agendas/Journaux intimes 1939 et 1940. Conservés au Moravské zemské museum, Brno(cotes : G 8123 et G 8122)
– J. Macek, Vitězslava Kaprálova, Prague, Svarz čs. Skladatelů, 1958
– J. Mucha, Au Seuil de la nuit, F.et K. Tabery (trad.),Editions de l’Aube, 1998
– R. Pěcman, « Pater a filia. Črta o Václavu Kaprálovi a jeho dceři Vitězslavé », Acta Musicologica (2055/1), http://acta.musicologica.cz/05-01/0501s03t.html
– P. Přemsysl (éd.), Vitězslava Kaprálová : Studie a vzpominky, Prague, HMUB, 1949
Discographie non exhaustive
– « Vitězslava Kaprálová. Songs ». D. Burešová, T. Cheek, D. Čáslavová, Petr Zdvíhal, Jan Valta, D. Havelík. 2003. Supraphon (SU 3752-2 231)
– « Vitězlava Kaprálová. Portrait of a composer. » (inclus : Sbohem a šáteček pour ténor et orchestre) L. Škorničková, V. Přibyl, J. Drobílková, J. Skovajsa, J. Smýkal, Janáček Quartet, Brno Philharmonic Orchestra, F. Jílek (direction). 1998. Studio Matouš (MK 0049-2 011)
– « Vitězslava Kaprálová ». V. Eskin, S. Chase. 2008. International Classics KIC-CD-7742
Liens Youtube :
http://www.youtube.com/watch?v=xdh6Lqnb0Y8 (Sbohem a šateček)
http://www.youtube.com/watch?v=LK4IyhqJO5s&list=UUpy5HxnhpJ-L3zN5wqJZr5Q&index=6&feature=plcp (Koleda)