Si le bel canto romantique peut parfois être envisagé comme une joute vocale, alors Ermione à Paris hier soir, 15 novembre, après Lyon deux soirs plus tôt, s’est apparentée à une vaste bataille où le public, transporté, comptait les points, délivrant à chaque coup porté une brassée de bravos comme autant de trophées. Dans cette empoignade acharnée entre gosiers survitaminés, la première partie voyait Dmitry Korchak (Oreste) d’une voix flexible et timbrée prendre l’avantage, avant d’être devancé par Michaël Spyres (Pirro) en un « Balena in man del figlio » où le chant encore une fois a semblé défier ses propres limites : ambitus vertigineux, vaillance suicidaire, cantabile enjoleur et surtout une maîtrise du style qui pousse le ténor, suspendu dans les airs, à ajouter de nouveaux ornements ou à exécuter une de ces figures nécessaires pour rendre la musique plus expressive encore. Si Ermione, boudée lors de sa création à Naples en 1819, n’est pas chantée aujourd’hui davantage, n’est-ce pas parce qu’il faut des monstres vocaux pour en exalter la grandeur tragique ?
Dans la deuxième partie, tandis qu’Enea Scala (Pilade) tapi dans l’ombre recueillait quelques feuilles de laurier en attendant son heure de gloire – Rinaldo dans Armida du même Rossini à Montpellier en début d’année prochaine ? – Angela Meade (Ermione) coiffait au poteau ses partenaires dans une scène de folie où l’engagement dramatique balayait les réserves que l’on avait pu émettre auparavant sur un chant moins rossinien que verdien. Par l’usage de couleurs éloquentes et par la puissance de traits fulgurants, d’un extrême à l’autre de la portée, cette princesse, superbe d’orgueil outragé, se serait hissée sur la première marche du podium si Alberto Zedda ne lui avait raflé la médaille d’or. À 88 ans, servir encore Rossini avec une telle énergie, un tel sens du rythme et de la dynamique, c’est debout que le public du Théâtre des Champs-Elysées a salué l’exploit.