Une partie du chœur de l’English National Opera sera en grève à l’occasion de la représentation d’Akhnaten, l’opéra de Philipp Glass qui sera donné à Londres du 4 au 19 mars prochain. Le mouvement ne devrait affecter que le premier acte de l’ouvrage et la seule représentation du 18. Le personnel salarié du chœur entend ainsi protester contre les mesures d’économie prise par la direction de l’institution. Les nouvelles conditions envisagées pour les 44 membres permanents du chœur sont une réduction de l’effectif (4 artistes en moins), la fin de l’annualisation du temps de travail (les artistes ne seraient payés que lorsqu’ils chantent) et une réduction des salaires de l’ordre de 75%. Selon le principal syndicat concerné, Equity, ces nouvelles conditions rendraient difficiles les conditions de vie de ces artistes ; ce nouveau chœur, assemblé à partir de freelances plutôt que de membres permanent, entrainerait également une dégradation significative de la qualité artistique.
De son côté, l’ENO doit faire face à une baisse importante de sa dotation par l’Arts Council England qui gère une partie des fonds publics à destination des grandes institutions artistiques : la subvention passera en effet de 17 à 12 millions de livres, soit une réduction d’environ 13% du budget de la compagnie dont le budget dépend à 48% de fonds publics divers. Encore cette subvention est-elle assortie de conditions, dont « le recrutement d’un directeur général qualifié en mesure de développer et d’offrir un nouveau modèle, le renforcement des opérations financières de l’entreprise et le recrutement d’un président permanent ». Le management de l’institution est en effet critiqué par l’ACE qui se retranche derrière la bonne utilisation des deniers publics. Président du conseil d’administration depuis deux ans, Martyn Rose avait donné sa démission en février 2015, mettant en cause John Berry, directeur artistique depuis 20 ans, pour avoir fait perdre une dizaine de millions à l’ENO. Pour Rose, le départ (et le plus rapide possible) de John Berry était une condition essentielle à la survie de l’ENO, celui-ci faisant, selon les dires de Rose opportunément fuités « partie du problème et pas de la solution ». Berry avait fini par donner sa démission en juillet, laissant une situation financière catastrophique, mais aussi un bilan artistique remarquable (les productions de l’ENO ont quasiment toutes reçu un excellent accueil de la critique britannique). L’ENO s’était effectivement lancé depuis de nombreuses années dans des productions coûteuses d’ouvrages ambitieux, mais parallèlement le public désertait les lieux. Depuis près de 15 ans, le déficit s’était accéléré malgré l’injection de nouveaux fonds publics.
La décision de l’ACE a été fortement critiquée par les supporters de l’ENO qui y voient un coup bas destiné à faire disparaitre la compagnie. Mais l’objectivité pousse à reconnaitre que celle-ci est au moins partiellement responsable des déboires dont elle est victime. A l’origine, l’ENO se voulait un opéra populaire, jouant en anglais pour le public britannique, accueillant des artistes eux aussi britanniques, et dans un lieu un peu excentré par rapport aux quartiers nobles de Londres. Ces dernières années, la compagnie était devenue élitiste. On y chantait toujours en anglais … mais avec des surtitres car une enquête auprès des spectateurs avait mis en évidence que la majorité d’entre eux ne comprenait rien aux textes. Les prix pratiqués laissent songeur : certes les places les plus chères sont à 125 £, ce qui est environ deux fois moins qu’à Covent Garden (et encore : l’Oedipe de George Enescu sera proposé au ROH à 85 £ au parterre !), mais les places les moins coûteuses à l’ENO sont à 20 £ alors qu’on trouve des places d’amphithéâtre à 10 £ au Royal Opera, avec des distributions autrement plus excitantes et des productions moins sages que par le passé. Quant à la salle, le caverneux Coliseum et ses 2 359 places, elle est bien moins accueillante que celle de Covent Garden (2 256 places, une acoustique magnifique et des espaces publics superbes). Avec sa politique artistique ambitieuse, l’ENO se sera finalement coupé de ses racines populaires, sans pour autant attirer un public plus ouvert qui continue à remplir le Royal Opera.
Refusant la baisse du nombre de grosses productions suggérée par l’ACE, l’ENO a choisi de diversifier ses ressources : des blockbusters pour remplir la caisse (à partir d’avril, Glenn Close sera à l’affiche du musical Sunset Boulevard : bon courage aux oreilles formées à l’opéra !) et des économies sur les coûts de production, dont les artistes du chœur. L’ENO commercialisera également ses surfaces, notamment les espaces de restauration, en dehors des périodes de spectacles. Souhaitons bonne chance à cette compagnie et songeons en comparaison à l’abondance de l’offre lyrique parisienne, en dépit d’une situation économique bien moins florissante que celle de la place financière londonienne…