Il fut un temps à Paris où Violetta à la fin du premier acte de La Traviata s’exclamait « quel trouble » au lieu « é strano », ce qui soit dit en passant est plus difficile à chanter. La version française du chef d’œuvre de Verdi, traduite par Edmont Duprez, était la première en vigueur de ce côté des Alpes. On l’a oublié. PromOpera et Operacademy, deux associations qui œuvrent en faveur de l’art lyrique, nous le rappellent en exhumant cette version jusqu’au 27 juin à Paris puis à Neuilly (voir brève du 23 avril dernier). L’entreprise pourrait sentir la naphtaline. Défendue par une équipe de jeunes talents, elle s’avère d’une touchante sincérité, peut-être parce qu’elle cherche plus à évoquer qu’à reproduire. Les costumes de Clémence Quilliard sont certifiés second-empire mais les décors de Philippe Jegou intelligemment stylisés. Sur la petite scène de l’Espace Cardin, où crinolines et autre accessoires entravent le mouvement, Frédéric d’Elia réussit à faire bouger naturellement tout son monde, y compris la cinquante de choristes qui entrent et sortent sans donner l’impression du métro aux heures de pointe. La partition française est conforme à l’italienne, à quelques coupures et broutilles près dont une reprise inattendue du thème de l’ouverture lorsqu’au deuxième acte Violetta quitte Alfredo. Romain Dumas dirige vivement un orchestre réduit à 15 musiciens en évitant que l’ensemble ne sonne trop maigrichon. Marc Souchet fait mieux que d’avoir toutes les notes de Georges d’Orbel (Giorgio Germont). Une technique solide et un timbre feutré, comme adouci par les ans, apportent au personnage ce surcroît d’assurance qui est le privilège de la maturité. De Rodolphe d’Orbel (Alfredo), Floran Cafiéro possède la maladresse inhérente à la jeunesse et la séduction naturelle d’un chant qui cherche encore ses marques dans l’aigu. Aurélie Ligerot ne coche pas toutes les cases du rôle de Violetta. Quelle soprano peut se targuer de le faire ? Mais, la présence supplée aux quelques défaillances. Interprétée d’une voix corsée d’essence lyrique, plus que colorature ou dramatique, cette courtisane aime, vit et meurt sans que sa légitimité ne soit jamais remise en cause. Dommage que l’on ne comprenne pas la moitié de ce qu’elle chante. Si seulement ce reproche, que l’on élargit à toute la distribution, pouvait rouvrir le débat sur le chant français et l’art de la diction, qui en est la pierre de touche. [Christophe Rizoud]