C’est une représentation particulièrement émouvante de La Bohème qui a été retransmise dans les cinéma depuis le Royal Opera House grâce à Akuentic. Émouvante parce qu’il s’agissait de l’ultime reprise de la production de John Copley, créée en 1974, dans laquelle se sont illustrés les plus grands interprètes de l’ouvrage de ces quarante dernières années. Émouvante aussi parce que c’était la dernière représentation donnée avec la même équipe de chanteurs, émouvante enfin parce que l’équipe en question se hisse à un niveau tel qu’elle renoue avec les fastes des grandes représentations d’autrefois. Ce qui frappe d’emblée, c’est l’homogénéité de la distribution jusque dans les petits rôles. Marco Vinco est un Colline tout à fait convaincant tant sur le plan scénique que vocal. Dotée d’une voix solide, Jennifer Rowley ne manque pas d’abattage. Sa Musette, insolente et rouée au deux, sensible et généreuse au quatre, est longuement acclamée par le public au salut final. Lucas Meachem qui fut un 2010 un Billy Budd remarquable à l’Opéra Bastille, campe un Marcello en tout point idoine, sympathique avec ses camarades, ombrageux quand Musette lui fait des misères. Le timbre clair et ensoleillé de Joseph Calleja, la facilité avec laquelle il émet ses aigus ne sont pas sans rappeler le jeune Pavarotti. Le ténor maltais trouve en Rodolfo un rôle à la mesure de ses beaux moyens. En outre, il se montre désormais tout à fait à son aise sur le plateau. Tour à tour enjoué, passionné, désespéré, aucun des affects du personnage ne lui échappe. Voilà une incarnation qui mériterait d’être immortalisée sur un CD ou un DVD. A ses côté, Anna Netrebko campe une Mimi miraculeuse. Elle parvient à renouveler l’intérêt d’un air aussi éculé que « Mi chiamano Mimi » tant elle y met d’infinies nuances, jouant de sa large palette dynamique, du pianissimo le plus ténu jusqu’au forte le plus impressionnant notamment sur la phrase « Il primo bacio dell’aprile è mio » qui, autant qu’on puisse en juger, emplit sans problème toute la salle du ROH. Réservée au premier acte, mutine au café Momus, poignante durant son duo avec Marcello au troisième acte, bouleversante sans excès de pathos lors de ses derniers échanges avec Rodolfo sur son lit de mort, cette Mimi se hisse incontestablement au niveau des plus grandes interprètes du rôle. La direction spectaculaire de Dan Ettinger témoigne d’un sens aigu du théâtre. Le chef israélien excelle a mettre en valeur une infinité de petits détails à l’orchestre qui passent souvent inaperçus. Le deuxième acte est ébouriffant et la scène finale extrêmement dramatique. Un mot enfin du travail de John Copley : vieille de quarante ans, sa production qui respecte scrupuleusement les lieux, l’époque et les didascalies, foisonne de trouvailles ingénieuses et finalement n’a pas pris une ride.
Puccini, La Bohème – Direction musicale : Dan Ettinger – Mise en scène : John Copley avec Anna Netrebko, Joseph Calleja, Lucas Meachem, Jennifer Rowley, Marco Vinco, Simone del Savio, Jeremy White, Donald Maxwell, Luke Price. Londres, Royal Opera House, mercredi 10 juin 2015.