« Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes » serine Pangloss à Candide tout au long du conte philosophique de Voltaire pour que, finalement, le jeune homme renonce à l’optimisme béat de son précepteur et décide de « cultiver son jardin ». De ce chef d’œuvre de la pensée européenne, Leonard Bernstein et Lillian Hellmann, sa librettiste, n’ont conservé que la dimension satirique, aboutissant à une pièce inclassable, quelque part entre Broadway, Londres et Milan, entre la comédie musicale américaine, l’opérette façon Gilbert et Sullivan et vocalement, pour certains rôles, une écriture virtuose, proche du bel canto. Sur ce patchwork musical, Nigel Lowery appose une succession de scénettes comme autant d’images reliées entre elles par la voix du narrateur. Ce dernier a la forme d’une tour hertzienne dont un singe prend le contrôle dès le lever de rideau, premier des nombreux clins d’œil qu’adresse au cinéma une mise en scène colorée qui multiplie gags et références sans dépasser la dose nuisible à l’esprit de l’œuvre.
Familier du rôle-titre qu’il a déjà interprété sur cette même scène dans cette même production en 2009, Michael Spyres ne fait qu’une bouchée de la partition, lui qui il y a quelques jours triomphait à Londres dans La Donna del lago. Passer de Roderigo à Candide, c’est comme faire le tour du bois de Boulogne à vélo après l’ascension du Mont Blanc. Ni graves, ni aigus vertigineux, ni vocalises en rafale. Pour autant, le ténor met au service de Bernstein toute la science acquise en chantant Rossini, notamment l’usage de la messa di voce et une gestion du souffle qui produit quelques notes d’une longueur spectaculaire. La diction, toujours claire, ne pose aucun problème à celui qui s’exprime ici dans sa langue maternelle. Surtout, l’expression scénique se hisse au niveau de l’interprétation musicale, offrant de Candide un portrait accompli. Par une coïncidence troublante (mais s’agit-il d’une coïncidence ?), le jeune baritenore, au sens rossinien du terme, partage l’affiche avec l’un de ses plus illustres prédécesseurs. Désormais plus baryton que ténor, Chris Merrit, qui cumule les rôles du gouverneur, de Vanderdendur et de Ragotski, a lui aussi du souffle à revendre, une présence inaltérée et l’aigu facile, ce qui n’a rien d’étonnant compte tenu de ses antécédents. En Cunégonde, Leah Partridge souffre inévitablement de la comparaison avec les plus grandes coloratures qui ont fait de « Glitter and be gay » leur oriflamme. Le numéro reste de haute voltige, la silhouette idéale, la composition aboutie même si le chant peut sembler manquer d’éclat. A l’arrière-plan d’une distribution sans faiblesse, on remarque également Graham F. Valentine qui, en Pangloss puis Martin, manie parole et musique dans la meilleure tradition du music-hall. Comment enfin ne pas rapprocher « America », un des tubes de West Side Story, du très latino « I am easy assimilated » que chante la Old Lady (la composition des deux œuvres est étroitement imbriquée ; certains numéros de l’une furent initialement destinés à l’autre, et inversement). Carole Wilson y fait preuve d’une juste intégrité vocale, distillant sans en faire des tonnes l’humour nécessaire à l’extravagance du personnage.
Last but not least, Yannis Pouspourikas propose de la partition une lecture approfondie, dont le brillant sait éviter le clinquant. Le chef d’orchestre dirige également de manière permanente le Koor van Vlaamse Opera (il est appelé la saison prochaine à devenir Premier Maître de Chapelle à l’Aalto-Musiktheater d’Essen – voir brève du 21 juin). Cela n’est pas sans influer sur la qualité des interventions chorales, remarquable, notamment un « Make our Garden Grow » conclusif qui place Bernstein au-dessus de Voltaire, donnant à la musique de Candide une portée mieux que philosophique : religieuse.