A peu près tous les compositeurs français du XIXe siècle ont été attirés par les sirènes du genre lyrique, et ont pratiqué qui le grand opéra, qui l’opéra-comique. Félicien David aussi, comme l’ont récemment prouvé les résurrections réussies de son Herculanum ou de Lalla-Roukh. Avec souvent moins de succès, beaucoup de compositeurs français du XIXe siècle se sont essayés à la mélodie, souvent sur des textes fort médiocres. Félicien David aussi, et il n’est pas sûr que son génie soit aussi flagrant dans ce domaine que dans celui de l’ode-symphonie qui lui était cher. Edouard Plouvier, Emma Tourneux, Emile Barateau, tous ces noms dont pas un ne mourra… Enfin, l’on sait que ce n’est pas toujours sur de la grande poésie qu’on écrit de la grande musique, et Schubert n’a pas toujours travaillé que sur les textes de Goethe, pour évoquer un compositeur dont David semble avoir subi l’influence. C’est vrai qu’il y a un petit air d’ouverture de La Belle Meunière dans « En chemin (chant de soldat) », et que « L’Océan » se souvient du « Roi des aulnes ». Cela dit, lorsqu’il s’empare de meilleurs poèmes, un autre écueil se présente : on trouve sur ce disque deux textes de Théophile Gautier retenus par Berlioz pour ses Nuits d’été, et la comparaison s’avère cruelle. Pour « La Chanson du pêcheur », pour laquelle il choisit un rythme de valse, Félicien David ne trouve rien à faire des « Ah ! sans amour, s’en aller sur la mer ! » ; quant à « Reviens, reviens ! », on reste désespérément à la surface des choses, là où Berlioz creusait des abîmes de désespoir amoureux. L’auteur du Désert se rattrape-t-il dans l’orientalisme dont on le dit spécialiste ? Hélas, rien n’est moins sûr. Si l’on songe à un chef-d’œuvre comme les « Adieux de l’hôtesse arabe » de Bizet, on se situerait plutôt ici au niveau de la « Chanson du Chameau » qui faisait ricaner nos arrières-grands-parents, tant l’exotisme du « Bédouin » ou du « Tchibouk » sonne creux. Autrement dit, il n’y a pas forcément grand-chose à sauver dans toute cette production élaborée entre 1836 et 1845, soit au tout début de la carrière de David.
Dans ces conditions, la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a, et les interprètes ont beau déployer tous les sortilèges dont ils sont capables, ils ne sauraient transfigurer cette musique. Le pianiste Thanassis Apostolopoulos tient fort correctement sa partie, mais il n’est pas excessivement sollicité, à part peut-être dans « L’Océan » susmentionné. On a souvent eu l’occasion de tresser des lauriers pour son compatriote Tassis Christoyannis, qui a su s’imposer sur les scènes lyriques comme un des grands barytons d’aujourd’hui, surtout dans le répertoire de la fin du XVIIIe siècle (Les Danaïdes de Salieri, Don Juan de Mozart). Est-il pour autant un grand mélodiste ? Son français, excellent à l’opéra, ne se montre ici pas toujours impeccable : les syllabes nasales ne sont pas toujours très idiomatiques, mais ce n’est qu’un détail. L’interprète fait preuve de délicatesse quand il convient, osant aller jusqu’au détimbrage par moments, et tente par ailleurs d’introduire un dramatisme vigoureux dans ces pages qui en sont hélas dépourvues. Il est pourtant bien difficile de soutenir l’intérêt tout au long de ces soixante-douze minutes de mélodies strophiques sans grande variété, qu’on évitera donc d’écouter en continu.