Il n’aura échappé à personne que Diana Damrau avait, ces denières années, fait évoluer son répertoire par touches successives, pour aborder les rives du belcanto romantique. Ce répertoire (Bellini, Donizetti, Rossini, auxquels on ajoutera, avec toutes les précautions d’usage, le Verdi de Rigoletto et de La Traviata), constitue désormais, avec Mozart et Strauss, un des trois pôles qui structurent la carrière à succès de la soprano. Ce récital, enregistré voici tout juste un an à Turin avec les forces du Teatro Regio, en est l’illustration.
Le défi était de taille : ici, l’erreur ne pardonne pas, et ce que le jeu scènique permet parfois (souvent) de camoufler avec habileté, le studio le met en évidence avec une froideur et une précision cliniques. Il est d’autant plus difficile de faire illusion que nos oreilles, avec les années, ont été éduquées à ce répertoire si exigeant, grâce au génie, au talent et au travail de toute une génération de défricheurs. Il est bien loin, le temps des approximations, des contresens, et, finalement, de l’ignorance.
On relèvera pour commencer que le répertoire choisi illustre, de la part de l’artiste, une conception assez… téléologique du genre : à côté des incontournables Bellini (I Puritani, La Sonnambula) et Donizetti (Rosmonda d’Inghilterra, Maria Stuarda), du jeune Verdi (I Masniaderi, Luisa Miller), on a la surprise de trouver dans le programme un air de… La Bohème et un autre de Paillasse. On laissera le lecteur juge de l’explication fournie par la diva dans le livret d’accompagnement : « La flamme qui a commencé à resplendir au début du XIXe siècle a été transmise au XXe siècle »… Admettons.
Peu importent en réalité ces justifications quelque peu capilotractées : l’acheteur du disque attend la soprano pour ce qu’elle donne à entendre plus que pour ce qu’elle donne à lire…
Heureusement, pour ce qui est du chant, Diana Damrau n’en finit pas d’impressionner.
Fiamma del Belcanto est le reflet de prestations scéniques récentes de la soprano bavaroise. Elle est ici idéalement dirigée (Gianandrea Noseda, idiomatique en diable) et entourée (Piotr Beczala et Nicolas Testé en comprimarii, c’est Byzance).
On retrouve avec bonheur chez Damrau la maîtrise du souffle et des couleurs saluées lors de ses récentes prestations en Lucia à Munich ou dans son enregistrement du rôle de Konstanze dans L’Enlèvement au sérail.
Le choix des airs qui composent ce récital permet de mêler subtilement la cantilène éthérée et les imprécations véhémentes. Dans les deux cas, Diana Damrau met ses moyens vocaux conséquents au service d’une technique des plus solides : la ligne est tenue, les allègements dosés à bon escient (« O rendetemi la speme »), les vocalises affrontées crânement (« Vien diletto », « Sempre libera »), les registres parfaitement dosés. Mieux : la chanteuse, à qui un certain manque de chaleur avait pu être reproché, n’oublie pas d’émouvoir. Le feu n’est pas de glace. Plus d’une fois, on pense aux propos fameux de Wagner sur Bellini, en qui il voyait son modèle pour l’écriture vocale de ses grands rôles féminins.
Certes, on ne s’attendra pas à retrouver ici le grain de folie, ce dépassement de soi que seule permet la scène. Mais une chanteuse capable de faire honneur au répertoire belcantiste, à donner chair à ces grandes figures, en surmontant les innombrables difficultés techniques qui sont attachées à ce sport de haut niveau : c’est rare, et c’est déjà beaucoup.