Peut-être est-ce là le meilleur récital jamais gravé par Jonas Kaufmann.
C’est qu’en Puccini il trouve à exprimer toutes les facettes de son art. Le choix fut particulièrement juste de ne pas se limiter aux airs les plus connus mais d’y ajouter des opéras plus rares (Edgar, Le Villi), des duos voire des scènes entières (La Bohème, Manon Lescaut) et de ne pas négliger les récits si dramatiques qui précèdent les deux airs de La Fanciulla del West. Non seulement on évite le tunnel d’airs, mais on rend à chacun sa densité et son poids théâtral : exactement ce qu’il faut à un chanteur aussi engagé et impétueux.
Disons tout de suite que la pertinence du découpage n’est pas le seul facteur de réussite. Antonio Pappano est ici tout simplement fascinant. Il tient tout dans le creux de sa main avec une intelligence musicale et dramatique exceptionnelles. Il faut à chaque instant prêter l’oreille à l’échange entre le chanteur et l’orchestre, qui est tantôt dialogue, tantôt pure fusion. Pappano, en un sens, contraint Kaufmann à une certaine rigueur, ne lui permettant pas de céder au péché mignon souvent entendu – une tendance à fragmenter les airs en phrases, segmentant un peu la dynamique. Ici, tout est d’un souffle, comme un flux de lave charriant théâtre, sentiments, musique, couleurs. Ecoutez « Non piangere Liù » pour comprendre ce qu’est ce soutien orchestral : Pappano est le premier à écouter Kaufmann, et il le guide avec une justesse, et pour ainsi dire une affection, inouïes. Le résultat est à faire pleurer les pierres.
On pourrait croire que Kaufmann va faire craquer les coutures des opéras les plus légers, comme La Rondine ou Gianni Schicchi, mais il y donne une leçon d’intelligence et même d’humour. Evidemment, l’intensité extrême lui va mieux. Elle ne se trouve pas seulement dans les « grands » opéras : Le Villi, Edgar et surtout Il Tabarro donnent une idée de ce que peut faire un artiste de si haut vol dans des airs où il est rare de distribuer d’aussi considérables artistes. Dans Il Tabarro, il apporte même, par rapport à Domingo, quelque chose de grinçant et d’amer qui stupéfie. Au bout de dix écoutes, on n’en a pas fait le tour.
Restent les grands tubes : là, l’intention artiste et l’art de la nuance insufflés à une voix aussi riche produisent l’effet électrique qu’on connaît, mais souvent plus puissant encore que ce qu’on a connu jusqu’ici. A force d’attention au détail, de contrôle de l’énergie, de travail sur la pure beauté du timbre – ce que le disque permet mieux que la scène – Kaufmann atteint des sommets nouveaux, et les interventions contestables de Kristina Opolais n’y changeront rien. Est-il exagéré de dire que les extraits de La Fanciulla del West sont peut-être ce que le disque y a conservé de plus beau et de plus prenant ? Y éclate ce qui fait le génie de Kaufmann, singulièrement dans Puccini : l’accent de vérité. C’est cette vérité qui balaie tout ce que l’on a pu dire sur l’italianità de Kaufmann dans Tosca, Turandot ou Butterfly : c’est que le personnage s’impose, charnel, tangible, humain, présent – oui, même dans « Nessun dorma » ! Lorsque la beauté sombre, minérale, du timbre reflète la fragilité tantôt exaspérée (Des Grieux), tantôt extatique (Cavaradossi), tantôt hallucinée (Pinkerton, Calaf) des personnages, une magie opère qui n’a pas besoin d’étiquettes. On se tait, on écoute, on remercie.
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