Si Julie Fuchs est aujourd’hui chère au cœur de nombre de lyricophiles, c’est parce qu’elle n’a pas pris le melon. Sa fraîcheur reste intacte malgré un parcours jalonné de prix et de succès : révélation classique de l’ADAMI en 2009, premier prix de chant au CNSM de Paris avec les félicitations du jury en 2011, révélation lyrique des Victoires de la Musique en 2012, deuxième prix du Concours Operalia Placido Domingo en 2013, artiste lyrique de l’année aux Victoires de la Musique en 2014… Qui dit mieux ? L’an passé, la signature d’un contrat d’exclusivité avec le prestigieux label Deutsche Grammophon ajoutait un nouvelle palme à sa jeune gloire. Là où bon nombre de ses consœurs auraient profité de la situation pour sortir une énième compilation de grands airs de grands opéras, la petite soprano française qui monte se distingue en choisissant un répertoire moins convenu : l’opérette des années folles. Yvain, Messager, Hahn dont elle fut une Ciboulette acclamée par le public et la critique. N’est-ce pas d’ailleurs le succès de sa Ciboulette qui a dicté ce choix original ? Depuis Susan Graham et son formidable French Operetta Arias, on n’avait pas eu l’occasion de se trémousser sur « Yes ! ». A écouter Julie Fuchs d’une voix fruitée faire claquer « ce petit oui étranger », on se dit que décidément, cette musique devrait jouée plus souvent car elle est bonne pour le moral. Nos temps sombres réclament cette insouciance, seule capable de conjurer une actualité d’une violence insoutenable. De là à prophétiser un retour en grâce de l’opérette… Certains n’en écartent plus l’éventualité.
En attendant, Julie Fuchs est ravissante lorsqu’elle gazouille délicatement « Pardon mon papa que j’adore » extrait des Aventures du roi Pausole, une opérette d’Arthur Honegger qui à en juger aux deux extraits proposés ici mériterait de connaître plus souvent les honneurs de la scène. Bonne copine avec ça, n’hésitant pas à demander à ses camarades de la rejoindre dès que l’occasion se présente. Chantée en duo, l’heure de La veuve joyeuse est forcément exquise ; le thé est pour deux. Et l’on se dit que l’on aimerait bien que Deutsche Grammophon propose aussi un contrat à Stanislas de Barbeyrac tant le ténor a de charme et de talent.
L’hymne au soleil du Coq d’or, même traduit en français, semble se demander ce qu’il fait là. L’Enfant et les sortilèges aussi : dans ce florilège souriant, le feu fronce par trop des sourcils. « Ah ! Cher Monsieur, excusez-moi » est interprété avec une telle spontanéité que l’articulation s’en trouve prise au dépourvu. Mais entre Ravel et Christiné se faufilent les couplets délicieux de La pouponnière, une opérette de Casimir Georges Oberfeld, compositeur juif victime de la barbarie nazie, plus connu pour ses chansons que pour ses œuvres lyriques («Paris sera toujours Paris», c’est lui).
« J’ai deux amants » ondule avec une candeur désarmante. Barbara et Ciboulette aussi. C’est là peut-être la limite de ce chant gracieux : l’absence de sous-entendus dont tous ces airs ne sont pas forcément dépourvus. Au contraire même, on a tendance à penser qu’une partie de leur charme réside dans leur ambiguïté, la difficulté étant d’éviter la vulgarité. Aucun danger de ce côté-là, l’honnêteté de Julie Fuchs n’est jamais prise en défaut. Et quand bien même elle serait tentée de l’être, Samuel Jean, à la tête d’un Orchestre national de Lille d’une respectabilité au delà de tout soupçon, s’avère le meilleur des chaperons.
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