Bien sûr, 2014 fut l’année de Rameau, nom porteur qui put favoriser diverses opérations plus ou moins réussies. Le présent disque sort le 27 janvier 2015, mais il cherche à bénéficier de l’aura des commémorations. Pourtant, Rameau n’est vraiment ici qu’en guest-star, car c’est en fait d’un disque Laborde qu’il s’agit. C’est très bien ainsi, et c’est une excellente surprise.
Jean-Benjamin de Laborde (1734-1794) est donc né un an après les débuts du Dijonnais dans le genre de la tragédie lyrique, et il aura survécu exactement trente ans à Rameau (et lui aurait sans doute survécu plus longtemps encore si la guillotine n’en avait décidé autrement). Fils de banquier, Laborde reçut de Dauvergne des leçons de violon, et de Rameau des cours de composition. En 1763, sa première tragédie lyrique, Ismène et Isménias, est présentée devant la famille royale (et serait peut-être même à l’origine de l’annulation des représentations des Boréades de son illustre aîné et désormais rival). La même année, il commence à faire paraître ses Trois Recueils de Chansons avec accompagnement de harpe, de violon et de clavecin. Maintenant, si Rameau a intitulé « La Laborde » la première pièce de son Deuxième Concert, si Forqueray a inclus « La Laborde » dans sa Première suite en ré mineur, et si Petrini à dédié sa troisième sonate à une « mademoiselle de Laborde », rien ne prouve qu’il y ait le moindre rapport avec le compositeur en question.
Mais qu’importe, finalement, puisque ce disque nous permet une merveilleuse rencontre avec un genre musical souvent dédaigné des puristes, celui de la « chanson », certes moins ambitieux que l’opéra ou la cantate, mais d’un authentique raffinement, et qui ne manque pas de séduire s’il est pratiqué avec art. En l’occurrence, les trois Recueils de Laborde trouvent en Mailys de Villoutreys une interprète hors-pair. Après toute une série de petits rôles dans diverses productions d’opéra baroque (elle fut notamment Clarine dans Platée dirigé par Jean-Claude Malgoire), cette soprano française révèle un timbre charnu et une diction remarquable ; tout juste pourrait-on souhaiter un grave un peu plus nourri pour les sauts d’octave de la berceuse « Dors, dors ». Phrasant avec délicatesse, mais sans préciosité déplacée, sa voix s’unit à merveille avec les instruments du Trio Dauphine, ceux-là même que Laborde prévoyait pour accompagner ses mélodies, nostalgiques pour la plupart, enjouées pour quelques-unes. Il se dégage de ce récital un charme indéfinissable, auquel contribuent les pièces instrumentales, conçues pour l’intimité des salons, où brillent tour à tour la harpe de Clara Izambert, le clavecin de Marie Van Rhijn ou le violon de Maud Giguet.