Les anniversaires sont souvent l’occasion de feux de paille : sitôt passés, sitôt oubliés. A contrario, depuis le cinquantenaire de la disparition de Francis Poulenc, en 2013, fleurissent plus que jamais les enregistrements de ses mélodies, que s’approprient les plus grandes voix.
Après bien d’autres, Sophie Karthäuser n’a pas su résister à la magie de Poulenc. Elle nous offre un florilège de 37 pièces, toutes choisies et organisées avec soin, qui constituent la quintessence de ses mélodies.
Dès les Deux poèmes de Louis Aragon (C et Fêtes galantes), on succombe : le premier, d’une infinie poésie, « ô le joli dessin qui va de c en c », est conduit avec la simplicité grave et retenue qui lui sied ; suit la fébrile bouffonnerie énumérative du second (« on voit… »), si exigeant par le tempo et l’articulation requis. Aucune des mélodies ne laisse indifférent. Faute de pouvoir énumérer chaque émotion, chaque éblouissement, car il paraît impossible d’en soustraire une, signalons quelques facettes du génie de Poulenc et de ses interprètes.
Du cycle le plus achevé, Tel jour, telle nuit, dans le droit fil de Duparc et de Chausson, Le front comme un drapeau perdu frappe par sa violence hallucinée, Une herbe pauvre, par son dépouillement, son humilité, et, surtout Nous avons fait la nuit, au lyrisme émerveillé, intense et intime. La variété infinie des nuances et de ses inflexions sert ce chef-d’œuvre à merveille. La Vocalise-étude n’a, semble-t-il, jamais été aussi belle, dans la conduite de sa ligne et dans ses couleurs. La dame d’André renoue avec la veine primesautière du musicien, Violon, avec la sensualité élégante. L’exquise et délicate berceuse (Le Sommeil) teintée de mélancolie, Quelle aventure, par ailleurs, si caractéristique de l’art de Poulenc… Les Chemins de l’amour, gagnent ici une dimension nouvelle. Si la valse chantée, un peu rengaine, écrite pour Yvonne Printemps est bien là, elle acquiert ici une élégance et un raffinement dont l’évidence naturelle nous touche.
Sophie Karthäuser, merveilleuse mozartienne, nous démontre ici combien la filiation Mozart-Poulenc est réelle : les mêmes qualités au service d’un lyrisme exemplaire. « J’ai souvent l’habitude de dire que pour moi, c’est quelque chose de délicieux, comme du miel qui coule dans ma gorge…Il a ce génie tellement particulier de mettre en musique des mots, de les faire parler » expliquait Sophie Karthäuser ici-même en 2007. Il s’agissait de Mozart, mais ces propos s’appliquent à Poulenc avec un égal bonheur.
Ne parlons pas d’accompagnement : la voix et le piano ne font qu’un. La richesse de l’écriture pianistique est magnifiée par le jeu de Eugène Asti (qui fut aussi le partenaire de Felicity Lott). Un grand monsieur qui connaît parfaitement son Poulenc.
Solide et riche livret d’accompagnement, avec les textes des mélodies, en français et en anglais.
Enregistrement d’un naturel bouleversant. Un pur ravissement. L’extase, quoi.