Les chants polyphoniques, du Moyen-Âge jusqu’à la fin du XIXe siècle, relèvent en partie d’une pratique collective fondée sur l’écoute et la mémoire qui, de fait, néglige parfois toute retranscription, où l’exercice du culte prime sur l’expression d’un art à proprement parler. Et s’il arrive que ces chants soient couchés sur le papier, cette transcription demeure souvent imparfaite, loin de leur réalité musicale.
La restitution du chant en faux-bourdon que proposent ces deux disques est comme un ressac de l’antique voix dont les voûtes des églises avaient seules, croyait-on, gardé la mémoire. Car Dominique Vellard et l’Ensemble Gilles Binchois ont rendu cette mémoire vivante. A la recherche des partitions perdues, pour l’essentiel anonymes, ils ont effectué là un travail scientifique et artistique remarquable, dans la restitution d’un précieux patrimoine méconnu et dans la mise en voix de morceaux savamment choisis.
Immergé dans une ambiance monacale, on croit d’abord assister à l’office du culte, une Messe de Noël peut-être, par ces temps de décembre. Le style psalmodique et syllabique du plain-chant, son homorythmie quelquefois, nous rappellent que la répétition participe de l’enseignement de ce qui est pour l’essentiel un chant de la transmission, aux fidèles, aux futurs ministres du culte.
Mais il y a plus. La monotonie du plain-chant s’efface dans l’agrégation des voix en faux-bourdon, richement ornées, et qui font corps au point qu’on ne les distingue plus : seul le chœur d’enfants de la Maîtrise de Toulouse vient offrir un contrepoids dialogique au quartet principal. On regrettera cependant que, dans le « De profundis » de Marc-Antoine Charpentier, mêlant beauté et gravité solennelles, la voix de l’enfant soliste soit si tremblante, si peu assurée, comme submergée par l’édifice de cette musique trop grande pour lui.
De façon générale, c’est sans doute la qualité de cette Maîtrise qui empêche ce disque d’atteindre la perfection : malgré ce qu’une voix d’enfant peut avoir de pureté lumineuse, le chœur manque pour ainsi dire de « maîtrise », dans la voix, dans la nuance aussi et surtout. Si bien que cette franchise du son et du ton jure quelque peu avec l’élégance prosodique des chanteurs de l’ensemble. La rondeur et la grâce sont alors davantage à trouver dans la voix des maîtrisiens plus expérimentés, en particulier dans l’hymne « Pange lingua » qui ouvre le deuxième opus.
Ces chants en faux-bourdon du XVIe au XIXe siècle, polyphonies oubliées qui ont représenté pendant des siècles l’image sonore de l’Église, n’en conservent pas moins une dimension universelle, dans leur exhortation à la méditation, au partage et à la transmission.