Est-il risqué de s’attaquer à Schubert et à Goethe lorsque l’on est un jeune ténor de trente ans ? Ces deux sommets de la littérature (poétique et musicale) du romantisme allemand ne requièrent-ils pas une maturité et une approche plus intellectuelle de ce répertoire ? Au lieu de nous poser toutes ces questions, ne ferions-nous pas mieux de nous débarrasser de nos idées préconçues et de nous lancer dans l’écoute du dernier enregistrement de Mauro Peter et Helmut Deutsch ?
Le ténor suisse est ici conscient de son jeune âge (pas même trente ans), et n’hésite pas à le faire valoir comme atout, rappelant que Schubert était plus jeune que lui quand il composa sur ces textes de Goethe. Il est important de ne pas oublier que le compositeur des « divines longueurs » restait aussi un chantre de la fougue amoureuse. De la fougue, il y en a dans Rastlose Liebe ou encore Versunken, si bien que Helmut Deutsch garantit la dose de sagesse et de modération nécessaire à la réussite de ces deux pièces. En revanche, dans les pages plus mélancoliques (Erster Verlust ou les Drei Gesänge des Harfners), le ténor sait exactement quand ralentir telle cadence, accentuer telle syllabe ou souligner tel contour mélodique, permettant à l’auditeur de profiter pleinement de ces « divines longueurs ». Ce que l’on déguste avec cette voix, c’est surtout la clarté du timbre et la belle couronne d’harmoniques qui entoure la tessiture aiguë. Aussi, le seul défaut que l’on peut voir percer est inhérent à l’âge du chanteur : les graves manquent un peu de rondeur et de couleur, ce qui fait de l’interprétation d’un Meeres Stille un exercice particulièrement difficile, surtout dans un studio qui capte tout, et ne pardonne rien.
Heureusement, dans cet enregistrement, la sensibilité musicale de Mauro Peter va de pair avec un respect absolu de la prononciation. Rien n’y est laissé au hasard, chaque mot étant compris, pesé et travaillé, ce qui sert Goethe autant que Schubert et donne à chaque lied une logique très naturelle (écoutez le Heidenröslein, dont la simplicité est aussi belle que déroutante). Nous sommes bien loin d’une interprétation « jolie mais idiote », Peter équilibrant savamment la candeur de l’interprétation et le soin du détail mélodique ou prosodique.
Et si après tant de finesse, l’auditeur reste toujours sur sa faim, qu’il tourne son oreille vers les merveilles de Helmut Deutsch. Le pianiste accompagnateur est partenaire de concert régulier de Mauro Peter dans ce programme qu’il connaît par cœur, pour l’avoir interprété notamment avec Hermann Prey. C’est donc en maître absolu de son art qu’il façonne chaque mélodie de manière différente. La diversité des attaques dans Ganymed, le jeu clair et précis, même dans les passages tourmentés (et si difficiles !) du Erlkönig et cette capacité à faire paraître le discours à la fois naturel et réfléchi font de Helmut Deutsch sans aucun doute un interprète incontournable de la musique de Schubert.
Avec tant de belles promesses, on se réjouit de voir que les Schubertiades du duo Peter/Deutsch fleurissent les unes après les autres (et l’on ose espérer tout bas d’autres incursions au disque).
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