Voilà plusieurs années que le festival de Glyndebourne s’est doté de son propre label pour assurer la préservation et la distribution de ses productions les plus marquantes, du passé comme du présent. Cela a donné lieu à une vingtaine de publications, pour certaines très remarquées (Les Noces de Figaro de 1962, le Falstaff et Les Puritains de 1960, la Theodora de 1996, la Carmen de 2002…). Avec ce Tristan et Isolde capté au cours de l’été 2009, on trouve le reflet de la première production wagnérienne de l’histoire du Festival. Il est vrai que les gigantesques proportions du drame wagnérien s’accordent a priori peu aux dimensions du théâtre d’origine, avec ses 830 places. L’ouverture, en 1994, d’une nouvelle salle de 1200 places a permis de reconsidérer la question. Des Maîtres Chanteurs de Nuremberg sont depuis venus poursuivre dans cette voie.
Créée en 2003, cette production de Tristan et Isolde a été captée pour le DVD dans la reprise de 2007 avec Nina Stemme, Robert Gambill, René Pape et Boje Skhovus. On peut d’ailleurs se demander pourquoi ce n’est pas cette même reprise, à la distribution flatteuse, qui a eu les honneurs du CD… Cet enregistrement bénéficie de la direction souple et aérée de Vladimir Jurowski, à la tête du London Philharmonic Orchestra. On sent que le chef, en grand professionnel, surveille son orchestre pour éviter les excès qui contraindraient les chanteurs à forcer leurs voix. Il permet surtout d’apprécier l’Isolde émouvante d’Anja Kampe, frêle et bouleversante, qui confirme ici de la plus belle manière son affinité avec ce rôle. Après avoir démarré au début des années 2000 dans le répertoire wagnérien (Freia et Gerhilde à Bayreuth de 2002 à 2004), cette Isolde marque son passage vers des rôles plus lourds (rappelons qu’elle a incarné cet été Sieglinde sur la Colline sacrée). Ce n’est certes pas une grande voix, mais aux dimensions de Glyndebourne, ça passe. Et surtout, quelle musicalité ! Voilà une belle démonstration de ce que la princesse celte gagne vraiment à être chantée par des voix non cuirassées, qui en font la réplique wagnérienne de Turandot (suivez mon regard). Une femme avant d’être une princesse, assurément.
Autour d’elle, Torsten Kerl « assure » en Tristan, mais il est bien poussif et dénué de poésie. Du coup, musicalement, le couple se retrouve déséquilibré, la musicalité d’Isolde écrasant sans appel le prosaïsme de son Tristan. Sarah Connolly est une Brangäne très saine et convaincante, qui nous sert au II des appels superbes, murmurés, comme en songe, sul fiato dirait-on dans un autre répertoire. Georg Zeppenfeld, que l’on avait salué en Landgrave à Bayreuth voici deux étés, propose un Marke superlatif de voix, n’oublie pas d’émouvoir dans sa scène, comprend ce qu’il chante et confirme qu’il est une des basses incontournables du répertoire allemand. On situera au même niveau le Kurwenal d’Andrezj Dobber. L’ensemble est porté par le caractère intimiste des lieux (on est loin des vastes cathédrales sonores bayreuthiennes, qui n’offrent à Tristan comme seules limites que celles de l’Univers), ce qui sied particulièrement à l’œuvre : un Tristan presque chambriste, c’est loin d’être un contresens.