« France, quel est pour toi ce fortuné moment ! » C’est ainsi que se termine le prologue de Pyrrhus, opéra de Pancrace Royer donné en 1630 à l’Académie royale de musique. C’est aussi ce que l’on pense aujourd’hui, lorsque l’on songe à la récente déferlante de musique française des XVIIe et XVIIIe siècles. Il faut en effet s’émerveiller de ces magnifiques réussites : ces disques et ces concerts ont rendu au public l’immense richesse de ce répertoire considéré, il y a peu encore, comme marginal, quand il n’était pas tout à fait inconnu.
Notre collègue Laurent Bury avait assisté à ce Pyrrhus que publie le label Alpha (voir son compte rendu). À relire sa critique enthousiaste, on se réjouit que l’investissement théâtral (absolument remarquable) et les qualités vocales de chacun des solistes aient aussi bien supporté le passage au disque. Acmas (Jeffrey Thomson), prince empreint de préciosité, offre un contraste pertinent avec la gravité du Pyrrhus d’Alain Buet, dont les couleurs vocales conviennent idéalement à un héros de tragédie. Face à eux, les deux princesses, Polyxène (Emmanuelle de Negri) et Eriphile (Guillemette Laurens), comme leur confidente (Nicole Dubrovitch), ne laissent aucun mot, aucune note au hasard, et insufflent la vie à cette partition, dans ses moments de colère, comme dans ses plaintes. Quelques fatigues, parfois, rendent certains sons moins soignés, mais c’est là une réserve bien anecdotique.
Le chœur, acteur important de cet opéra, s’investit pleinement dans le texte, mais le disque en révèle les limites : on aurait souhaité plus de précision dans l’intonation, des vocalises un peu mieux ciselées, un son plus élégant. Enfin, on sent l’extraordinaire travail de Michael Greenberg et de Lisa Goode Crawford pour révéler les multiples richesses de cette partition. Leur ensemble Les Enfants d’Apollon ne fait qu’un avec les chanteurs. On aimerait toutefois un peu plus de mordant et brillance de leur part. Est-ce un problème de captation ? Le récent Phaëton des Talents Lyriques, enregistré en direct lui aussi, a placé la barre bien haut.
Le disque en main, on en vient pourtant à s’interroger sur le choix même de cet opéra, alors qu’il a connu une réception mitigée à sa création, et qu’il n’avait jamais été repris jusqu’ici. N’y avait-il pas plus urgent à ressusciter ? Michael Greenberg et Lisa Goode Crawford justifient doublement ce choix. D’abord, Pyrrhus de Royer est un des rares opéras de cette époque dont le matériel d’orchestre de la création nous soit parvenu complet. Ensuite, il s’agit d’un des meilleurs exemples du développement que connaît à son époque la tragédie en musique. Et ce second point suffirait à lui seul à justifier l’enregistrement. Le disque et les multiples écoutes qu’il permet donne en effet l’occasion au public de s’approprier ce langage musical. L’on se prend ainsi à réécouter en boucle certains passages mémorables, telle que la fin de l’acte III, une scène hypnotique aux enfers, digne de celle – au hasard – d’un opéra comme Orphée et Euridice. Les jubilations d’un chœur d’esprits maléfiques s’y entremêlent avec les invocations vengeresses d’Eriphile et les plaintes de Polyxène. L’oreille se forme, et du statut de curiosité, cette musique devient peu à peu classique. On voudrait dès lors voir un Pyrrhus en scène : il est grand temps que ce répertoire s’impose dans les maisons d’opéra – n’est-ce pas ce qu’a su faire la musique de Monteverdi, il y a quelque temps déjà ?