Dans le cadre du festival Paris Mezzo et des Grandes Voix, le Théâtre des Champs Elysées accueillait Ermonela Jaho et Charles Castronovo pour un concert placé sous le signe des héros romantiques. Le programme est intelligemment construit autour de Massenet en première partie, en hommage à la culture et au public français, et autour de l’opéra italien « vériste » après l’entracte, alternant morceaux célèbres et pages plus rares, tels les extraits de Sapho ou le duo de La Rondine.
On sent une vraie complicité entre les deux artistes qui se connaissent de longue date. Leur couple d’un soir est glamour et bien assorti, lui en costume bleu pétrole, cravate bordeaux, elle d’abord en robe carmin puis en robe sombre en dentelle au décolleté plongeant en seconde partie.
Après une introduction quelque peu tonitruante de l’Orchestre d’Ile de France sous la direction de Marco Zambelli (ouverture de Phèdre), l’air de Julien du premier acte de Sapho de Massenet cueille Charles Castronovo un peu à froid. Si l’on apprécie un souci des nuances et une prononciation du français fort correcte, la voix semble couverte, le timbre sombré, les aigus forte légèrement vibrés. « Pourquoi me réveiller » confirme cette impression d’une voix barytonante, un peu engorgée, qui ne se libère que dans l’aigu. Qu’il est loin le ténor mozartien d’il y a quelques années !
La Sapho d’Ermonela Jaho laisse des impressions contrastées. D’abord la diction française est un peu confuse, rendant la compréhension du texte délicate. Cette impression s’atténuera heureusement par la suite. Ensuite la chanteuse charge son chant de beaucoup d’intentions, multipliant les pianissimi et autres crescendos qui peuvent paraître quelque peu systématiques. Pourtant ces quelques bémols sont bien vite balayés par l’investissement scénique de la chanteuse, son souci de faire vivre les personnages : la mélancolique Fanny, la Thaïs à la fois inquiète et orgueilleuse, ou la Manon toute en séduction, parvenant ainsi à recréer l’émotion de véritables scènes d’opéra. Surtout la technique de la soprane albanaise ne laisse d’impressionner : sa Thaïs notamment est fascinante, maîtrisée sur toute la tessiture jusqu’au contre ré final qui semble tellement aisé. Avec des moyens totalement différents d’une Fleming – ici foin de double crème et d’épanchements lascifs – on tient là une Thaïs anthologique.
La première partie consacrée à Massenet se clôt, après une méditation de Thaïs bien prosaïque, par un duo de Saint Sulpice enflammé. Le couple fonctionne parfaitement scéniquement, lui feignant le détachement quand elle le supplie à genoux ou l’enlace tendrement. Les pianissimi caressants de la soprano font ici encore merveille face au Des Grieux puissant de Charles Castronovo : on comprend que le chevalier ne puisse résister à la tentation !
La seconde partie consacrée au vérisme (au sens large) confirme les impressions de la première partie. L’air de L’amico Fritz de Mascagni manque quelque peu de soleil, quand le lamento de Frederico extrait de L’Arlesiana de Cilea trouve le ténor américain plus à son aise, timbre mâle et chant plus libéré.
Si « Io sono l’utile ancella » frémissant avec de magnifiques aigus filés convainc sans réserve, l’extrait de Manon Lescault laisse plus circonspect. Ce n’est pas l’engagement de la chanteuse qui est en cause, l’intensité est impressionnante, ni les graves sonores et sensuels. Non, il manque simplement ici à notre goût une largeur, une ampleur que la chanteuse ne peut s’inventer. Le duo de La Rondine qui clôt le programme montre enfin le couple à son meilleur.
Les trois bis qu’offrent les artistes alternent le chaud et le froid. La chanson napolitaine de Charles Castronovo est malheureusement bien malmenée par l’accompagnement orchestral. Heureusement, la soirée se termine en beauté, avec l’air de Magda « Chi il bel sogno di Doretta » et surtout un duo de La Bohême (« O soave fanciulla »), enflammé, dont les dernières notes nous parviennent des coulisses.