De tous les opéras du répertoire, Die Zauberflote est celui qui semble aujourd’hui le mieux stimuler la créativité des metteurs en scène. On le constatait cet été au Festival d’Aix-en-Provence, on le vérifie en ce début de saison à Düsseldorf où Suzanne Andrade et Barrie Kosky font preuve d’une inventivité réjouissante. Leur idée ? Transformer l’ouvrage de Mozart en un gigantesque dessin animé. Comment ? Par une utilisation intensive de la vidéo, devenue décidément un élément indispensable à toutes représentations d’opéra au même titre que les costumes et les lumières. Un panneau blanc à la dimension du cadre de scène fait office d’écran. Des ouvertures, aménagées à différentes hauteurs de ce seul dispositif scénique, permettent aux personnages de s’intégrer aux images projetées. Leur renouvellement permanent empêche la lassitude de s’installer une fois le procédé compris.
Autre idée originale, les textes entre chaque numéro ne sont pas récités mais projetés. Dagmar Thelen accompagne au piano leur projection, comme au temps du cinéma muet. Cette originalité a dicté l’univers visuel dans lequel est transposée l’intrigue. Tamino emprunte son costume et sa coiffure à Buster Keaton, Pamina à Louise Brooks. Monostatos ressemble à Nosferatu façon Murnau. La Reine de la nuit est une araignée géante et Sarastro un savant fou dont le laboratoire abrite de dangereux automates. Toute la difficulté consiste pour les chanteurs à interagir avec les projections afin de donner l’impression qu’ils ne forment qu’un. Le résultat est époustouflant. Comment ne pas s’émerveiller face à de tels trésors d’imagination et d’humour, comment ne pas applaudir tant de virtuosité technique et théâtrale ! S’il faut un revers à la médaille, regrettons que seule la dimension féerique de l’opéra soit considérée. Le livret, dont on sait qu’il contient aussi un enseignement moral et maçonnique, se voit réduit ici à un conte pour enfants dont l’argument à moins d’importance que les images qui l’illustrent, comme si Mozart n’avait rien à nous dire, comme si son dernier singspiel était devenu muet, à l’égal du cinéma qui inspire sa représentation,.
Anke Krabbe (Pamina), Johannes Preißinger (Monostatos) © Hans Jörg Michel
Cette simplification dramaturgique, n’est pas sans incidence sur l’interprétation musicale. Limités dans leurs mouvements, transformés en pantins soumis au diktat des images, les chanteurs pêchent immanquablement par leur expression, sommaire voire inexistante, quand elle se doit d’être une composante essentielle de leur art. Difficile de faire vivre son chant lorsque l’on est comme la Reine de la nuit, perchée sur un promontoire avec interdiction de bouger, ne serait-ce les bras, sous peine de nuire à l’effet visuel recherché. La titulaire du rôle, Cornelia Götz, est une authentique colorature, légère, agile et précise avec pour seule limite des contre-fa en tête d’épingle. À ses côtés, Jussi Myllys a toutes les qualités requises par Tamino, de la nature du timbre, viril bien que gracieux, à l’élégance du phrasé. Vivement applaudie, Anke Krabbe possède la pureté de ces Pamina dépourvues de vibrato, droite mais suffisamment souple pour épouser les courbes de l’écriture. En Papageno, Richard Sveda fait montre du style et de la fantaisie nécessaires pour animer, mieux que ses partenaires, son personnage. A l’opposé des Sarastro doctes et imposants, Thorsten Grünbel est dotée d’une voix que l’on qualifierait de svelte si l’adjectif, appliqué à un tel rôle, ne semblait incongru. Son mage y gagne une jeunesse insoupçonnée, en adéquation avec le parti-pris scénique. Des seconds rôles, se détache nettement Johannes Preißinger, dont le Monostatos, méchant comme une teigne, use d’une projection confortable et d’un timbre grené pour dégager son aura maléfique.
Les chœurs du Deutschen Oper am Rhein et le Düsseldorfer Symphoniker sont révélateurs de la qualité qui prévaut Outre-Rhin. On n’a pas si souvent l’occasion d’entendre Mozart joué avec tant de probité, classique dans sa facture sans que rien d’empesé ou de poudré ne vienne en dévoyer le bon goût. Comme on n’est pas à un paradoxe près, Marc Piollet, l’artisan de cette direction d’une aristocratie toute germanique, est français. Cocorico !