Mais qui est Hibla Gerzmava ? se demandera peut-être plus d’un lecteur. Depuis une belle Vitellia au Palais Garnier à l’automne 2011 (voir compte rendu), on n’a plus revu en France cette soprano originaire d’Abkhazie, dont la carrière se déroule essentiellement à Moscou, mais pas seulement. Elle se produit très régulièrement au Met (Donna Anna, Mimì, Liù, Antonia des Contes d’Hoffmann), à Vienne dans les rôles mozartiens ou à Londres dans Mozart ou Verdi. On comprend donc mieux que la firme Melodia consacre un double DVD à cette artiste souvent primée dans son pays, même si à quelques minutes près, ce concert aurait pu tenir sur une seule galette, puisqu’il existe également un CD de 75 minutes offrant l’intégralité du programme. Quant à l’image, on a dû conseiller à Madame Gerzmava de miser sur la carte glamour, avec de superbes photos noir et blanc dans le livret d’accompagnement. Le programme est centré sur l’opéra, à l’exception de ses deux extrémités : l’extrait des Vêpres d’un confesseur et le célébrissime « Morgen » de Richard Strauss. Il reflète en partie le répertoire de la chanteuse, qui est régulièrement Lucia ou Adina, mais il s’ouvre aussi sur des rôles non encore abordés en scène (Norma, Desdémone).
On l’a dit, Mozart est la carte de visite de Hibla Gerzmava un peu partout à l’étranger ; le concert démarre donc avec Mozart. Après une ouverture de La Clémence de Titus qui manque singulièrement de nerf, l’Orchestre philharmonique national de Russie poursuit sur un rythme tout aussi paisible, et la soprano fait son apparition, laissant entendre un chant qu’on serait d’abord tenté de qualifier d’alla Netrebko. Une voix très large, un son très rond, des voyelles rarement ouvertes, une interprétation un peu trop placide. Avec Verdi, la chanteuse et les instrumentistes vont-ils sortir de leur torpeur ? Oui, car la virtuosité de la romance de Medora oblige Hibla Gerzmava à s’élever dans l’aigu, à davantage investir son chant, et donner plus de poids aux mots. Le début de l’air du Saule laisse craindre un retour au trop grand calme, mais une capacité à animer le chant se dévoile fort heureusement ; privé de la vie que lui donnerait la scène, l’exercice paraît presque trop maîtrisé.
Nouvelle pause orchestrale, durant laquelle Vladimir Spivakov ne communique pas plus d’énergie à l’ouverture du Barbier de Séville qu’aux pages qui ont précédé. Pour l’air d’entrée de Figaro, les choses s’animent, et il était temps. Le baryton arménien Arsen Sogomonyan fait preuve d’une belle aisance dans l’aigu ainsi que dans la vélocité. Le théâtre reprend tous ses droits avec le duo de L’Elisir d’amore, où les deux artistes jouent la comédie à fond. Hibla Gerzmava est, on s’en doute, une Adina au timbre riche qui n’a rien d’une soubrette et son partenaire maîtrise parfaitement le chant syllabique. Le premier air de Lucia est l’occasion d’une belle démonstration de virtuosité.
L’orchestre reprend son train de sénateur pour l’ouverture de Norma. Pour « Casta diva », on attend maintenant la soprano au tournant : si l’on y retrouve les qualités présentes chez Donizetti, la cabalette n’est pas exempte de duretés dans les vocalises, et il n’est pas sûr que l’ensemble du rôle convienne dès à présent à Hibla Gerzmava. En bis, « Morgen » appartient à un univers musical tout autre : Vladimir Spivakov prend un violon pour accompagner lui-même la soprano, qui émet de fort beaux pianissimi, mais qui ne possède peut-être pas encore toutes les clefs d’un répertoire allemand qu’elle n’a jusqu’ici guère fréquenté.