Le caractère racoleur d’une affiche de film fait parfois oublier une faiblesse du scénario ou du jeu des acteurs. Ce n’est pas le cas pour cette captation de Manon Lescaut de Puccini mis en scène par Jonathan Kent au Royal Opera House. Au centre de la couverture, sur un lit aux draps rose acidulé, Kristine Opolais s’offre avec passion, la bouche ouverte et les jambes écartées tandis que Jonas Kaufmann saisit sa partenaire avec fougue… L’art du marketing est capable de faire des miracles, mais sitôt l’objet consommé, on est loin d’être dupe.
Quelle ne doit pas être la déception de celui qui s’attend à voir une mise en scène moderne et transgressive lorsqu’il découvre qu’il n’en est absolument rien ! Oscillant sans cesse entre la retenue et une pseudo exubérance, cette mise en scène aux allures de porno chic ne va pas au bout de sa logique spectaculaire et laisse au spectateur un goût d’inachevé. Jonathan Kent fait en outre partie de ces metteurs en scène qui semblent penser que quelques iPad entre les mains des protagonistes suffisent à faire la modernité d’un spectacle.
Par ses plans rapprochés et américains, la captation souligne un manque patent de crédibilité des acteurs. Manon et Des Grieux ont beau s’embrasser et se faire des mamours à répétition, on ne croit pas un seul instant au couple Opolais-Kaufmann. C’est que, au-delà de la question d’un parti pris esthétique qui ne tient pas ses promesses, on en vient à oublier que le personnage principal de l’opéra est Manon Lescaut. Alors que Manon est un abîme de mystères et de contradictions, Kristine Opolais, peu à l’aise et constamment sur son quant-à-soi, la réduit à un personnage fade et minaudier. En réalité, tout l’édifice de cette production repose sur le charisme et le jeu de Jonas Kaufmann, comme si cela seul pouvait suffire.
Vocalement, la distribution est sans surprise dominée par le ténor allemand qui, comme à son habitude, excelle dans les rôles de héros romantiques. Mais dans cette production, Il est difficile de savourer pleinement sa performance. Kristine Opolais dispose d’un très beau timbre dans le médium et le haut médium mais le registre aigu gagnerait largement à s’épanouir, sans parler des registres bas-médium et grave qui restent inexistants et qui l’obligent à beaucoup poitriner. Le reste du plateau demeure assez homogène : le Lescaut du baryton Christopher Maltman est un peu déroutant en ceci qu’il arbore presque toujours la même expression, quelles que soient les émotions qui l’habitent, et il arrive que la voix passe difficilement l’orchestre ; la basse Maurizio Muraro est un Géronte de Ravoir très convaincant en souteneur libidineux et la clarté juvénile du ténor Benjamin Hulett en fait un parfait Edmondo. L’étincelle nous vient de la mezzo-soprano russe Nadezhda Karyazina dont le rôle trop court du Musicien nous laisse peu de temps pour apprécier le timbre sublime et sonore de la voix.
Antonio Pappano aime profondément la musique de Puccini. C’est avec beaucoup d’émotion et d’une main de maître qu’il dirige l’orchestre du Royal Opera House, parvenant assez magiquement à faire de la masse orchestrale un personnage à part entière de l’œuvre. Pour le reste, et pour s’émouvoir vraiment, sans affectation, sans minauderie et avec la « classe des maîtres », on continuera de s’en référer au Manon Lescaut de Domingo et Scotto.