Ambrogio Maestri est actuellement le Falstaff que toutes les scènes s’arrachent, et il triomphait dernièrement à Salzbourg, dans la mise en scène de Damiano Michieletto, qui transposait l’intrigue dans la maison de retraite pour artistes fondée par Verdi. Rien d’aussi audacieux pour la production immortalisée par l’intégrale Verdi de C Major, mais un spectacle enlevé, juste assez classique pour satisfaire les tenants de la tradition, et juste assez moderne pour éviter la facilité. L’époque est respectée, les costumes, tout en étant historiques, sont d’une sobriété extrême, presque excessive en matière de couleurs pour la scène des esprits, et le décor a la légéreté qu’imposait sans doute le lieu, le splendide théâtre inclus dans le palais Farnèse de Naples (les micros semblent avoir permis de corriger les gros problèmes d’acoustique que posait la salle, à en croire le compte rendu de Christophe Rizoud). Le lit monumental de Falstaff, présent à chaque scène située dans l’auberge de la Jarretière, revient à la fin et tous les protagonistes s’y entassent gaiement. Des fils à linge chargés de draps permettent les différents chassés-croisés du deuxième tableau ; ces mêmes draps, ornés de vaguelettes, nous montreront même le héros nageant dans la Tamise entre les actes II et III. Rien de renversant dans les choix de Stephen Medcalf, mais une grande fluidité, appréciable dans un opéra où tout doit s’enchaîner sans temps mort.
A la tête de l’orchestre, Andrea Battistoni marque sans doute moins les oreilles que dans des œuvres plus rares (il dirige aussi Attila et Stiffelio dans l’intégrale C Major), mais il sait mettre en valeur la plupart des innombrables traits d’esprit musicaux que renferme la partition. Et la distribution qu’il entraîne est mieux qu’adéquate. Maestri, on l’a dit, est chez lui dans ce rôle, qu’il semble même interpréter sans prothèse abdominale ; voix épanouie qui n’oublie jamais de chanter, diction mordante et naturelle, caractérisation affirmée mais sans histrionisme, tous les ingrédients sont réunis pour composer un tout grand Falstaff. A ses côtés, Svetla Vassileva n’est peut-être pas la plus suave des Alice, mais la partition ne lui impose pas la virtuosité qu’elle n’a plus en Traviata, et sa prestation en est d’autant plus acceptable, avec seulement quelques aigus un peu plus entachés de vibrato qu’on ne le souhaiterait. La jeune Romina Tomasoni arrache Quickly aux matrones, et propose un personnage bien plus vif qu’à l’accoutumée, auquel elle prête une voix naturellement grave, sans jamais devoir poitriner : voilà un nom à retenir, qu’on aimerait réentendre prochainement. Luca Salsi est un fort bon Ford, mais Antonio Gandia semble éprouvé par la tessiture de Fenton, et sa voix sonne trop souvent tendue dans l’aigu, ce qui est regrettable, d’autant que Barbara Bargnesi offre à Nanetta un timbre appréciablement charnu. Les comparses font ce que l’on attend d’eux, mais Mattia Denti paraît bien sérieux en Pistola. Au total, un Falstaff délicieusement digeste, sans surcharge pondérale inutile et très recommandable.