C’est entendu, le livret d’Idomeneo est l’adaptation d’une tragédie. Mais alors que celui de Campra finit dans le deuil, celui de l’abbé Varesco finit dans l’allégresse. Neptune renonce à sa vengeance sanglante mais impose au souverain qui incarne la haine ancienne entre frères humains de se retirer du jeu au profit de la jeune génération, vouée à la réconciliation. C’est pourquoi Elettra, toujours habitée par le démon révolu, doit s’en aller : elle n’a pas sa place dans le concert final qui chante la paix de l’âme. Dans cette version de Montpellier, Jean-Yves Courrègelongue, le metteur en scène, ne l’entend pas ainsi : Elettra quitte la fête mais on la découvre peu après morte ou inanimée et son corps est porté en procession hors de la scène tandis qu’une coda instrumentale que nous ne connaissions pas succède bruyamment au solennel mais joyeux chœur final. Ce choix confirme le penchant de ce jeune (dans le métier) de remplacer les propositions d’un livret par les siennes. Beaucoup semblent penser qu’il en a le droit et trouveront bizarre la primauté que nous accordons aux auteurs. C’est pourtant ainsi : en faisant mourir Elettra, M.Courrègelongue s’arroge le droit de modifier le livret sur lequel Mozart a composé, et du même coup, est-il nécessaire de l’écrire, la musique porte à faux ! Ce choix singulier va de pair, en somme, avec la décision de programmer Idomeneo pour les fêtes de fin d’année*. Serait-il vulgaire de proposer en cette période une œuvre plus festive qui remplirait le théâtre ?
Cela dit, la fin d’Elettra est en cohérence avec l’atmosphère créée par la couleur noire largement dominante. Malheureusement on l’a déjà vue dans d’autres spectacles au même endroit, si bien que celui-ci semble sortir d’une fabrique et reprendre avec application des procédés conformes à une esthétique à la Bob Wilson. Les costumes de Yashi vont du bcbg des solistes, avec une touche de sophistication en plus pour Elettra, aux lourdes redingotes des choristes mâles – rendues nécessaires par le climat de la Crête ? – et à leurs melons qui donnent une étrange allure de rabbin au grand prêtre de Neptune. Pourquoi pas ? Mais ce syncrétisme (voulu ?) donne moins l’idée d’une visée artistique cohérente que d’une association à la pertinence vague destinée à ratisser large. Au moins les éclairages de John Torres sont-ils irréprochables et valorisent autant que possible le travail de Mathieu Lorry-Dupuy aux décors. Un voilage tombant depuis les cintres et susceptible de diviser l’espace scénique en deux plans révèle en coulissant la piscine vide qui représente (?) ou symbolise (?) la Méditerranée où Neptune malmène Idoménée. Au premier plan tour à tour rien sinon une chaise, puis trois banquettes savamment disposées, puis un parallélépipède censé représenter un lit, dont la disparition à vue frôlera le ridicule, et surgi des dessous un pupitre lumineux dont l’apparition coïncidant avec l’évocation du monstre laissera perplexe !
Anna Manske (Idamante) et Marion Tassou (Ilia) © Marc Ginot
Est-ce le dimanche après-midi qui pèse, sur eux et sur nous ? L’homogénéité des choristes n’est pas impeccable et quand l’orchestre semble parfois peiner à trouver ses couleurs le continuo d’Yvon Repérant au clavecin n’en paraît que plus inspiré. De la direction de Sébastien Rouland, c’est le soutien qu’il apporte aux solistes qui nous semble le point le plus remarquable. Solistes aux prises avec la partition qu’un Mozart affranchi provisoirement de la tutelle paternelle a voulue aussi riche que le lui permettaient les musiciens et les chanteurs dont il disposait à Munich. Dans le rôle d’Arbace Antonio Figueroa ne déploie pas dans ses deux airs la virtuosité grâce à laquelle naîtrait l’épaisseur du personnage. Clémence Tilquin est physiquement une séduisante et hautaine Elettra, mais n’a ni l’incisivité ni l’ampleur vocale hors normes qui peuvent compenser la position passive du personnage sur le plan dramatique. L’Idamante d’ Anna Manske, bien clair de voix, manque de relief malgré une application certaine à faire vivre le personnage. Marion Tassou, en revanche, compose une Ilia sensible et frémissante comme on l’espère. Noble et tourmenté l’Idomeneo de Brendan Tuohy, pourtant annoncé souffrant, convainc sans peine. Peut-être une certaine économie au premier acte, dictée par ce souci de santé mais compatible avec la situation du personnage, mais la prestation globale mérite les bravos qu’elle lui a valus. Compliments mérités aussi pour Jean-Vincent Blot (la voix de Neptune semblant étrangement tomber du ciel) et Nicolas Todorovitch (le grand-prêtre de Neptune). Au final, marqué comme on l’a dit par des choix, de mise en scène et musical, pour le moins discutables, le public semble conquis. Comme cela nous semble bizarre ! M. Courrègelongue applaudit et acclame le spectacle auquel il a participé. C’est humain, et il n’y aurait rien à dire s’il le faisait depuis la coulisse. De la place d’honneur qu’il occupe, cela nous semble peu congru ! Serions-nous bizarre ?
* Programmation de J.-P.Scarpitta