Créé au Metropolitan Opera dès 1924, en allemand, avec la magnifique Maria Jeritza, Jenůfa y reste un titre rare. Il fallut attendre les années 70 pour que l’ouvrage fut repris, en anglais cette fois, avec Teresa Kubiak, Jon Vickers et Astrid Varnay. L’oeuvre connut enfin le succès qu’elle méritait en 1992, en tchèque cette fois, grâce à une distribution éclatante dominée par l’émouvante Jenůfa de Gabriela Beňačková et la Kostelnička hallucinée de Leonie Rysanek. Enfin en 2003, Karita Mattila y interprétait le rôle titre.
En entendant Karita Mattila cette fois dans le rôle de la sacristine, c’est évidemment à Leonie Rysanek que l’on pense, tant elle partage avec elle l’expressivité d’un chant souverain où l’artiste donne tout. Le rôle est écrit dans ses meilleures notes et correspond parfaitement à ses moyens actuels, aves des aigus chargés d’émotion qui font trembler la salle. Autoritaire sans excès au premier acte, désespérée au deuxième, profondément humaine au dernier, le soprano finlandais sait faire vivre toutes les facettes de ce personnage complexe. La Jenůfa d’Oksana Dyka est plus effacée mais sait rendre justice à une partition exigeante avec notamment des aigus puissants dardés sans efforts. On regrette néanmoins un timbre un peu acide et un grave insuffisamment développé. Daniel Brenna est un Laca impressionnant de facilité, à la projection superbe. Joseph Kaiser vaut surtout pour son jeu théâtral : son Števa est beau gosse et veule à souhait, mais la projection est un peu limitée et l’aigu en arrière. A 72 ans passés, Hanna Schwarz a plus que de beaux restes ! La voix est impecable et le personnage émouvant. On ne citera pas dans le détail l’ensemble des seconds rôles, tous excellents, notamment le délicieux Jano de Ying Fang.
Oksana Dyka (Jenůfa) et Karita Mattila (Kostelnička) © Ken Howard/ Metropolitan Opera
David Robertson choisit une approche un peu chambriste qui convient parfaitement aux scènes joyeuses des débuts des premier et dernier actes, mais qui tombe un peu à plat dans les parties les plus dramatiques (en particulier le finale de l’acte II, où l’on attend une véritable explosion), faute de tension. Au positif, le chef américain fait ressortir pas mal de détails d’orchestration qui passent habituellement inaperçus.
Pour cette reprise de la production de 2003, Olivier Tambosi est venu préparer la nouvelle distribution, ce qui nous vaut des interactions théâtrales parfaitement réglées, dans des décors très stylisés supposés renforcer le climat oppressif de ce petit village, mais parfois un brin incongrus (tel cet immense rocher en plein milieu de la maison de Kostelnička).