Fatras immense ! Pour parodier Faust dans son plus grand air, c’est ainsi que l’on pourrait résumer cette nouvelle production, première mise en scène d’Alvis Hermanis à l’Opéra de Paris. L’intuition de départ n’était pourtant pas mauvaise, à défaut d’être originale : considérer que Faust au XXIe siècle serait non un philosophe mais un scientifique. Un boulevard s’ouvrait alors pour décrire nos sociétés modernes désenchantées. Mais Alvis Hermanis va jusqu’à associer ce scientifique à Stephen Hawking, et son rêve de coloniser Mars qui s’apparenterait au voyage auquel Méphistophélès invite Faust. Ces deux heures se passeront donc en compagnie de Hawking (Dominique Mercy, un des plus grands danseurs de Pina Bausch), de son double chantant (Jonas Kaufmann) et d’une foule composée de volontaires pour bâtir la première colonie sur Mars. Il ne faut pas être très philosophe pour s’apercevoir pourtant qu’il existe une différence fondamentale entre Faust et Stephen Hawking : l’un est las de la connaissance et veut se réfugier dans la sensation, l’autre croit en la science au point d’en faire le salut de l’humanité. Dès le début, tout s’effondre donc, et chaque tableau est transposé avec prosaïsme sans jamais tisser de sens. Bref cette production est tellement contradictoire et inopérante qu’elle n’est qu’une suite illisible d’idées lâchées par intermittences entre de longues minutes de vide intersidéral. Tout juste réussit-on à comprendre que Mephisto, collègue de Faust, essaye d’abord de ramener celui-ci vers la communauté scientifique (les étudiants ivrognes qui ici contemplent des cobayes humains en cage), avant de l’emmener en rêve sur Mars où il partousera avec les Sylphes, lesquels danseront ensuite autour de la navette Curiosity (alors que Wall-E aurait été tellement plus lolilol #findumonde). Il découvre alors Marguerite, une des participantes du programme. Mais finalement Méphisto l’abuse grâce à la subtile ruse qui consiste à lui faire porter un casque de réalité virtuelle, et le chœur des démons-astronautes de célébrer cette reconquête du scientifique. Pour le reste, nous lançons ici un appel à témoin : qui a trouvé la clé de lecture permettant d’unir entre eux les éléments suivants ? Adam et Eve traversant la scène pendant le chant des villageois, les vidéos d’abeille et de fourmis avec danseurs se trémoussant comme des épileptiques, Hawking que l’on place dans un simulateur d’apesanteur, Marguerite qui chante sa ballade devant une très belle vidéo de baleines à bosse, les feux follets devant une vidéo de spermatozoïdes fécondant un ovule, les sylphes en tutu devant la navette Curiosity, Marguerite qui chante son grand air en caressant langoureusement Stephen Hawking devant une autre très belle vidéo d’escargots en train de copuler, et l’apothéose finale, usurpée par le scientifique qui quitte sa paralysie pour évoluer élégamment devant un ballet de méduses. Ajoutez à cela des projections de phrases d’une rare niaiserie, des chorégraphies ineptes, une direction d’acteurs qui oublie purement et simplement les chœurs (dommage pour une œuvre où ils sont omniprésents), un décor de cages métalliques qui appartient au pire académisme post-moderne (en plus de mal renvoyer la voix des chanteurs), et vous obtenez la plus grosse bronca que l’auteur de ces lignes ait jamais entendue. A l’entracte d’abord où les applaudissements le disputent aux huées, au rideau final ensuite où les défenseurs d’Alvis Hermanis semblent avoir baissé les bras.
© Felipe Sanguinetti / OnP
Pire qu’un fatras, c’est un vrai gâchis, car l’équipe musicale fait preuve de bien plus de talent, mais, projeté dans cette galaxie-là, aucun ne peut défendre une vision originale de son personnage. On passera rapidement sur le chœur qui privilégie toujours la puissance à la clarté de la prononciation. Dans les seconds rôles, Sophie Claisse est une très éloquente voix du ciel, et Edwyn Crossley-Mercer jouit toujours d’une belle autorité sur scène mais peine à rendre la rustrerie de Brander, surtout dans le grave. Face à l’orchestre, nous nous avouons circonspect : la lecture de Philippe Jordan est limpide, très construite, tenue, attentive, méthodique mais manque de souffle, de puissance créatrice, de vie en somme. Témoins, cette marche hongroise parfaitement métronomique ou cette course à l’abime, mécanique, n’inspirant jamais l’angoisse ou l’effroi.
Heureusement le trio suffit à lui seul à justifier cette soirée. Prononciation quasi-parfaite, voix bien projetées sans être hurlantes, et souci de la nuance, voilà des qualités que l’on ne rencontre que trop rarement dans l’interprétation de Berlioz. Sophie Koch d’abord réussit au fil des prises de rôle à éclaircir de plus en plus sa voix. Ici, on sent que les strophes les plus animées de « D’amour l’ardente flamme » chahutent un peu sa ligne, mais tout le rôle est assumé avec une robustesse technique (ces aigus !) qui force l’admiration. Si le metteur en scène avait eu une vraie ambition pour le personnage, sa performance aurait pu être anthologique. Bryn Terfel ensuite : Méphisto de grande classe sans être snob, un démon imposant sans être caricatural, et dont l’économie d’effets est diablement efficace. On ne lui reprochera guère que d’avoir mis un peu de temps à se chauffer la voix. Jonas Kaufmann enfin : même si beaucoup peuvent être agacés par l’hystérie de certains fans autour du ténor bavarois, qui peut nier qu’un style si délicat, des pianis si bien portés, des aigus certes parfois détimbrés mais toujours justes ne soient extraordinaires de la part d’un chanteur qui excelle aussi dans les répertoires italiens et allemands ? Seul le duo avec Marguerite nous a semblé moins propre, mais l’on reste vraiment admiratif devant cette intégrité artistique qui le pousse à toujours rechercher perfection technique et raffinement stylistique, même au sommet de sa carrière. L’une des grandes théories de Hawking voudrait que les trous noirs émettent tout de même des radiations, nous en avons eu la confirmation ce soir.