L’histoire de Giuseppe di Stefano est celle de la grenouille et du bœuf. A vouloir outrepasser ses moyens naturels, le ténor dilapida en quelques années les trésors d’une voix unique. Les Radames, Enzo et autres rôles spinto abordés prématurément épuisèrent un capital plus lyrique plus dramatique. Quand il enregistra pour Decca un Elisir d’amore, idéalement situé dans ses cordes pourtant, il était déjà trop tard. 1956, la voix n’avait rien perdu de son soleil mais l’abus de sons ouverts, l’absence de nuances disqualifient un Nemorino expressionniste qui, avec les ressources dont l’avait doté la nature, aurait pu se situer au sommet de la discographie. L’Adina de Hilde Gueden, soprano aigrelette qui avait commencé sa carrière en chantant de l’opérette, ne sauve pas la mise. Francesco Molinari-Pradelli bat la mesure. Seul Renato Capecchi tire l’enregistrement vers le haut. A écouter ce Belcore conjuguer ton et style comme un grammairien des verbes irréguliers, le cœur enfin chavire.
Retour à di Stefano. Le constat est encore plus cruel trois ans après dans un « Operatic Recital » qui se partage équitablement entre Giovane Scuola et école française. L’occasion de souligner la diction, impeccable en italien comme en français, un des points forts du ténor, auquel on ajoutera la pureté d’émission et une longueur de souffle qui autorisait des effets à donner le frisson. Pour preuve, un « E lucevan la stelle » miraculeux de sobriété et de vérité. Il s’agit hélas de l’arbre qui cache la forêt. Ailleurs prévaut le plus souvent un chant dilaté à force d’efforts, épuisé par trop de vaillance et d’aigus tirés au forceps. Des portraits français, on ne retiendra qu’un des Grieux prodigue en demi-teintes. « La fleur que tu m’avais jetée » lorgne vers un vérisme de mauvais aloi avec son si bémol final balancé comme un coup de poing. L’extrait des Pêcheurs de perles (« De mon amie ») bombe du torse tel un sergent promu capitaine. Où est passé l’exquise délicatesse de Nadir ?
On aurait pu penser que les canzone italiennes et napolitaines moins exigeantes appelleraient moins de critiques. Erreur, dans ce répertoire aussi, la chemise ne doit pas sortir du pantalon. Quelques plages inspirées, notamment un « Muttetti di lu paliu » âpre comme cette terre sicilienne dont il exprime l’âme, ne rattrapent pas une impression générale de laisser-aller.
A recommander donc aux jeunes chanteurs, comme l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire, ou aux inconditionnels de Giuseppe di Stefano, même s’il y a fort à parier qu’ils n’auront pas attendu ce coffret pour découvrir ces enregistrements.