On ne peut pas gagner à tous les coups. Ressusciter, c’est bien, mais la résurrection ne révèle pas que des chefs-d’œuvre scandaleusement ignorés. La Jacquerie, opéra dont on ne sait trop ce qu’il doit vraiment à Lalo en dehors de son premier acte, peine à susciter l’enthousiasme qu’ont pu inspirer Herculanum de Félicien David ou Dante de Benjamin Godard, pour se borner aux plus récentes redécouvertes qu’a permises le Palazzetto Bru Zane. Malgré tout l’intérêt qu’il avait pour ce projet, Lalo n’eut guère le temps, avant sa mort, d’avancer dans sa Jacquerie, et l’exercice auquel se livra Arthur Coquard, de vingt ans son cadet, ne convainc pas totalement malgré quelques beaux moments. Le troisième acte, avec sa noce médiévale, avoue une dette très nette envers le troisième acte du Roi d’Ys, mais le quatrième voit Coquart s’orienter dans une voie différemment wagnérienne, avec un très tristanesque duo d’amour. De manière générale, ce sont souvent les passages orchestraux qui paraissent mieux convenir à Coquard, plus embarrassé pour conduire un discours dramatique : la fin du troisième acte, assez laborieuse, donne l’impression de piétiner, alors qu’il devrait s’agir d’un moment d’intense confrontation entre les deux camps. Les chœurs sont aussi très bien traités, et l’on est frappé par le très mystérieux appel des bergers qui donne le signal du soulèvement des Jacques contre les seigneurs. Peut-être alors faudrait-il, pour juger plus sereinement du talent de Coquard, écouter un des opéras dont il avait lui-même choisi le livret, comme Jahel ou Oméa, partitions que les critiques contemporains n’hésitaient pas à comparer à celles de Richard Strauss.
Pourtant, comme toujours avec le Centre de musique romantique française, les meilleurs interprètes ont été réunis pour cette exhumation. Familier de ce répertoire – il a dirigé Le Roi d’Ys à Liège, et la dernière fois que l’on a pu entendre le chef-d’œuvre de Lalo à Paris, c’est également lui qui était à la tête de l’orchestre –, Patrick Davin ne cherche pas à priver cette musique d’un certain clinquant qui lui est propre, mais tire profit de toutes les occasions où la partition se révèle plus raffinée, parfaitement suivi par l’Orchestre Philharmonique de Radio France et par un Chœur de Radio France en belle forme. Nora Gubisch et Véronique Gens retrouvent les rôles qu’elles interprétaient l’été dernier à Montpellier. Réunies au dernier acte, la soprano et la mezzo n’ont pas ici à défendre de personnages bien passionnants : la mère du héros rebelle a bien moins d’envergure que la Fidès du Prophète, mais Nora Gubisch tire le meilleur parti de la confrontation de Jeanne avec son fils, au deuxième acte, tandis que Blanche de Sainte-Croix permet à Véronique Gens (le bras en écharpe) de camper une héroïne altière mais éprise, comme d’avance vaincue, résignée à masquer son amour pour un manant, passion avouable seulement à l’heure où la mort paraît inéluctable. Face aux dames, pas un des messieurs présents à Montpellier – ou pour l’enregistrement à paraître fin août – n’est revenu : à Charles Castronovo succède Edgaras Montvidas, déjà pilier de plusieurs résurrections organisées par le PBZ, et qui impressionne par un chant tout en force, pour lequel il semble à chaque instant mobiliser la totalité de ses ressources. Le ténor est le seul non francophone de la distribution ; curieusement, ce sont dans les passages quasi parlés que cela s’entend le moins. Le jeune Rémy Mathieu n’a que quelques phrases à chanter mais s’en acquitte fort bien. Et l’on est ébloui par le trio de barytons réuni pour l’occasion : dans le petit rôle du sénéchal Julien Véronèse déploie de bien jolies couleurs dans l’aigu, Alexandre Duhamel est un comte de Sainte-Croix plein de tendresse paternelle dans son duo avec sa fille, plein de morgue dans son opposition aux paysans rebelles, et Florian Sempey s’impose admirablement dans le rôle du bûcheron révolté, donnant tout son poids au texte vindicatif que lui confie le livret.