Le parc du château d’O, dans la banlieue nord de Montpellier, abrite plusieurs structures destinées à accueillir des spectacles, dont un amphithéâtre de plein air de 1800 places doté d’une fosse d’orchestre. Depuis huit ans l’association Folies Lyriques y propose un « festival d’opérettes et de comédies musicales sous les étoiles » dont le mécène – si l’on peut dire, s’agissant d’argent public – est le département de l’Hérault. Après La Belle Hélène, La Grande duchesse de Gerolstein et La Vie parisienne, voici La Périchole, qui consacre Offenbach dans son rôle de pilier du répertoire et confirme l’option délibérée pour le divertissement. Coproductrice, la compagnie Opéra Eclaté est cette fois encore partenaire des Folies Lyriques. C’est donc Olivier Desbordes qui signe la mise en scène, pour laquelle il s’est adjoint la collaboration d’un jeune confrère, Benjamin Moreau. A en juger par les réactions du public, leur travail a fait mouche. A juste titre ? Puisque le mot d’ordre est d’amuser, ils n’hésitent pas à surligner çà et là au risque de gommer les nuances où la mélancolie affleure. Ainsi quand la Périchole confie aux trois cousines la lettre et la bourse destinées à Piquillo, ces trois opportunistes se transforment en truandes sur la musique d’Ennio Morricone. Est-ce bien pertinent ? Et où est le « regard neuf » annoncé dans le programme ? Dans la transposition temporelle qui, sur fond d’affiches lacérées, permet de reconnaître des acteurs aujourd’hui has-been – ou présentés comme tels – de la vie politique française ? Ces clins d’œil amusent nos voisins ; perçoivent-ils qu’à l’époque de l’amour libre le drame intime du couple d’amoureux – réussir à gagner l’argent nécessaire à payer l’acte de mariage pour pouvoir le consommer – n’a plus de fondement ? Quant à faire du vice-roi un rappeur, cette « nouveauté » est désormais un cliché, tout comme faire des dignitaires de grandes folles plus ou moins refoulées dignes de la cage du même nom, ficelle surannée dont la drôlerie s’épuise à force de redites. C’est plutôt par la scénographie signée Elsa Belenguier que l’on peut essayer d’appréhender les intentions de mise en scène. A jardin et à cour, des tables où viendront s’installer les clients du cabaret des Trois Cousines. L’atmosphère est celle des restaurants ouvriers, de ces cantines populaires comme il en existait naguère en Italie. Le peuple sera confiné à cet espace, qu’un rideau en trompe l’œil sépare d’un immense escalier, image de la hiérarchie sociale en haut de laquelle trône – littéralement – le vice-roi et sur les marches duquel les personnages peuvent évoluer comme dans une revue. Ce n’est qu’au dénouement que le peuple aura directement accès au degré supérieur, sans que l’on comprenne si cela signifie qu’une révolution s’est opérée. La division entre le peuple et la cour est rendue évidente par les costumes de Jean-Michel Angays, dans un joyeux mélange de couleurs pour le premier, où les hommes portent des bleus de travail, et pour la seconde dans une dominante de noir et blanc à vocation « chic », le pompon revenant au vice-roi, uniforme blanc à la Bokassa et cape à traîne en lamé parfaite pour descendre l’escalier. Pascale Peladan a conçu une chorégraphie où le hip hop voisine avec force déhanchements et rotations du bassin explicites. Un mouvement féministe réagira-t-il au trio où la femme est définie par un sexe et des seins ? L’avenir nous le dira. Les lumières de Maurice Fouilhé sont relativement efficaces, dans l’esprit d’une revue, et le sont excessivement quand elles aveuglent le public après l’évasion des prisonniers. Le procédé prolongeait en somme l’apparition dans le public, à la fin de l’entracte, des trois cousines devenues dames d’honneur, faussement inquiètes de l’absence du chef et suscitant les applaudissements pour lui.
Héloïse Mas (La Périchole) et Philippe Ermelier ( le vice-roi) © Guy Rieutort
On aura compris que nous n’avons que modérément apprécié ce parti-pris d’amuser à tout prix qui se superpose à l’éventail expressif de la musique et use de conventions rabâchées. Et pourtant le spectacle se sauve grâce à ses interprètes, qui y mettent toute leur conviction. Les choristes de l’Opéra de Montpellier jouent le jeu de leur mieux, créant le climat bon enfant ou malveillant requis. Seul un décalage sensible avec la fosse gâche le chœur initial du deuxième acte, alea d’une première qui devrait être facile à corriger. Dans le double rôle du marquis de Tarapoto et du vieux prisonnier Antoine Baillet-Devallez passe du clone de Jacob dans la cage déjà citée à l’obsédé sexuel produit par la relégation avec la même apparente spontanéité. Les trois cousines, incarnées respectivement par Sarah Lazerges, Flore Boixel et Dalila Khatir, sont très différentes physiquement et c’est un atout qui rend leur individualité savoureuse, qualité qu’elles conservent même quand elles revêtent l’uniforme des dames d’honneur. On ne peut séparer Eric Vignau et Yassine Benameur, malgré la rivalité qui oppose leurs personnages, car ils mettent la même professionnalité à les faire vivre dans une succession ininterrompue de mimiques, attitudes et même danses dont ils s’acquittent avec une bonne grâce et une verve qui atténuent le poids des redondances. A Philippe Ermelier revient de camper le vice-roi, d’abord en rappeur, puis es qualités, enfin en faux geôlier. Il s’en acquitte avec fougue, et projette clairement une voix bien timbrée. Remarquable performance que celle de Marc Larcher, Piquillo crédible physiquement, scéniquement et vocalement ; il donne l’impression de ne pas forcer ses moyens et possède manifestement ceux du rôle. Aussi remarquable la Périchole d’ Héloïse Mas, qui démontre du premier au dernier acte des dons d’actrice saisissants, grâce à un visage extrêmement expressif qui lui donne par instants de faux airs d’Audrey Tautou. Le ramage n’est pas en reste, ni le bon goût : elle sait trouver des couleurs sans outrance, chanter en ne forçant sa voix que très fugacement, et se sort au mieux de la scène d’ivresse malgré le parcours du combattant que lui impose la mise en scène. Ces jeunes chanteurs devraient avoir un bel avenir si on leur en donne l’opportunité. Dans la fosse les musiciens de l’Orchestre régional Avignon-Provence répondent docilement mais sans éclat particulier à la direction experte de Jérôme Pillement, par ailleurs directeur artistique des Folies Lyriques. Le succès final est bruyant et prolongé. Nous rendons grâce in petto au plateau, dont la conviction a triomphé des conventions.