Un seul être vous manque et tout est dépeuplé : Sonya Yoncheva ayant dû, pour des raisons familiales, annuler les quatre premières de ses sept représentations, notre confrère Christian Peter n’avait pas été convaincu par cette nouvelle reprise. Pour son retour, le soprano bulgare confirme qu’elle reste une des meilleures interprètes actuelles du rôle, même si elle n’atteint pas tout à fait cette fois le niveau exceptionnel de sa récente prestation berlinoise. Au premier acte, Yoncheva est une Violetta sûre d’elle même : sa voix puissante, ses coloratures parfaites, la jeunesse de son timbre lui servent à exprimer la fureur de vivre de l’héroïne. Au deuxième acte, elle cisèle la psychologie du personnage, rendant vocalement perceptible son évolution : musicalité, pianissimi, jeu sur les couleurs, voix allégée ou au contraire véhémente (pour « Amami Alfredo »), sont là encore au service de l’interprétation. Au troisième acte, à peine regrettera-t-on un peu trop de voix dans « Addio del passato », qu’on a connu plus habité. Sans doute s’agit-il là de faire face à une certaine fatigue en poussant la voix pour sortir les notes plus facilement. La mort en revanche, simple et humaine, n’appelle aucune réserve. Au final, la Violetta de Yoncheva est d’une très grande richesse, tant dramatique que musicale.
© Vincent Pontet / Opéra national de Paris
Par chance, Simone Piazzola était déjà le partenaire de Yoncheva à Berlin, et le duo nous fait ainsi bénéficier de leur parfaite complicité musicale. Les moyens du baryton italien ne sont pas exceptionnels, le timbre est un peu terne, la projection tout juste correcte pour Bastille, mais la technique belcantiste est certaine. Surtout, Piazzola brille par l’intelligence et la musicalité de son interprétation, capable de figurer en quelques notes, un Germont cynique, mais aussi de nous faire croire au finale à la sincérité de son repentir. L’Alfredo de Bryan Hymel est expressif, mais fruste, l’interprète misant surtout sur la spontanéité de son chant. Le rôle ne met pas en valeur les qualités de cet artiste qui, dans cette tessiture, offre une voix souvent étranglée dans le haut médium, un timbre un brin nasillard, alors que les suraigus restent sûrs (le contre-ut dans la cabalette de l’acte II, mais aussi un autre en coulisses pendant le « Sempre libera », extrapolation rarement exécutée de nos jours). Les seconds rôles sont à peine corrects, à l’exception de la Flora d’Antoinette Dennefeld.
Michele Mariotti est la clef de voûte du succès de cette reprise : une direction au service de l’oeuvre, où les chanteurs ne sont jamais mis en danger, mais où ils ne sont pas laissés libres de faire n’importe quoi non plus (c’est particulièrement notable dans le duo Yoncheva / Piazzola qui devient ici un trio par la magie de la baguette de Mariotti) ; une superbe pâte orchestrale, avec des rendus parfois inédits, mais dépourvue d’un vain hédonisme ; un respect de la partition (avec des détails qu’il serait fastidieux de relever ici) qui n’empêche pas le chef de lacher la bride de temps à autres. Nous sommes ici en présence d’une direction quasi toscaninienne. La partition est quasiment complète : un seul couplet de l’air de Violetta à l’acte I, un seul couplet des cabalettes d’Alfredo et de Germont, mais les deux couplets de « Addio del passato » et les reprises dans le duo final.
Les saluts sont marqués par une longue et unanime standing ovation : toutes ces richesses musicales nous auront heureusement fait oublier une mise en scène indigente sur laquelle il n’est pas nécessaire de revenir.