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ROSSINI, L'italiana in Algeri — Toulouse

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Spectacle
17 mai 2016
Rossini classé X

Note ForumOpera.com

1

Infos sur l’œuvre

Dramma giocoso in due atti (1813)

Livret de Angelo Anelli

Détails

Nouvelle coproduction avec le Staatstheater Nürnberg

Mise en scène et chorégraphie

Laura Scozzi

Décors

Natacha Le Guen de Kerneizon

Costumes

Tal Shacham

Lumières

François Thouret

Isabella

Marianna Pizzolato

Lindoro

Maxim Mironov

Mustafà

Pietro Spagnoli

Elvira

Gan-ya Ben-gur Akselrod

Taddeo

Joan Martin-Royo

Zulma

Viktoria Yarovaya

Haly

Aimery Lefèvre

Choeur du Capitole

Direction

Alfonso Caiani

Orchestre National du Capitole

Direction musicale

Antonino Fogliani

Toulouse, Théâtre du Capitole, mardi 17 mai 2016 à 20 heures

Qu’on l’appelle axiome ou postulat, il est pour Laura Scozzi une vérité absolue : l’opéra doit être modernisé et cette fin justifie tous les moyens. Les lecteurs fidèles de Forumopera.com se souviennent peut-être que nous n’avions pas apprécié le traitement auquel, au nom de ce principe, Les Indes galantes avaient été revues et corrigées. Que les admirateurs de la dame, qui nous avaient copieusement moqué, se rassurent et se réjouissent : avec la mise en scène de cette Italiana in Algeri elle a repoussé ses limites ! Dans ses propos d’avant-spectacle, elle se demande : qu’est-ce qu’une Italienne qui va à Alger aujourd’hui ? Déjà la question, pour qui connaît l’œuvre, a de quoi déconcerter : Isabella, dans le livret mis en musique par Rossini, ne va pas à Alger, elle s’y retrouve par accident. Sans le naufrage, peut-être serait-elle allée à Tunis, autre centre proche de l’Italie où des chrétiens étaient captifs, puisque son voyage aventureux est une recherche de l’homme qu’elle aime, enlevé sur la mer. C’est ce contexte historique de la guerre contre les Barbaresques, ceux qui avaient réduit en esclavage la vieille de Candide et qui seront un des prétextes à l’expédition de 1830 contre le dey d’Alger, qui est la toile de fond de l’intrigue. Mais la question éclaire la démarche : il ne s’agit pas pour Laura Scozzi de s’interroger sur le point de vue des auteurs dans le contexte où ils travaillaient et éventuellement d’y confronter sa propre vision. Seule l’idée qu’elle peut plaquer sur l’œuvre importe : Isabella est une migrante économique. Soit. Mais qu’elle ne vienne pas se plaindre si on la trouve d’une accablante pauvreté, en regard de la ressource comique de la situation originale, qui renverse les rôles de L’enlèvement au sérail !

Exit donc l’exotisme et le choc des mentalités. Nous sommes en 2048. Pourquoi ? on n’en sait rien, et la décoratrice Natacha Le Guen de Kerneison probablement non plus car l’ameublement est design années 1960. L’Europe a fait faillite, moralement et financièrement, et ses ressortissants sont contraints d’émigrer. Isabella est donc une migrante naufragée sauvée par la marine algérienne et comme ses compagnons d’infortune elle va entrer au service du maire d’Alger, un véritable exploiteur de ces malheureux prolétaires. Encore une fois, qui connaît l’œuvre ne se souvient pas d’une telle problématique mais du marasme vécu par Mustafa comme par bien d’autres hommes : après quelques années sa femme l’agace, il ne la supporte plus, elle est trop docile. Comme il est un despote qui peut tout se permettre, il organise le départ de l’encombrante. En outre, puisqu’aucune de ses captives ne trouve grâce à ses yeux, il charge Haly de lui trouver une Italienne, car elles ont la réputation de tenir la dragée haute à leurs soupirants, ce qui lui permettra de vérifier à quel point il est resté un séducteur irrésistible. Ce comportement d’enfant gâté est si outré qu’au lieu d’effrayer il doit faire rire, du moins selon l’objectif des auteurs, mais Madame Scozzi le trouve probablement trop fade, alors elle le relève : ce maladroit qui s’ennuie devient un érotomane façon Berlusconi (sic) mâtiné de DSK (re-sic) aux tendances sadomasochistes et passe le plus clair de son temps à s’ébattre en compagnie de professionnelles. Cela permet d’offrir au spectateur une brochette de jeunes femmes dans des dessous  de sexshop, c’est à dire réduits à leur plus simple expression, qui miment avec conviction toutes sortes de conjonctions sexuelles avec force reptations et croupes tendues, si bien que le Service Jeunesse du Théâtre a dû se résoudre à annuler l’invitation adressée aux collégiens pour réserver le spectacle aux plus de dix-huit ans.

Ces relations tarifées sont souvent brutales. En fait la brutalité semble l’essence du rapport amoureux, lui-même réduit à l’assouvissement sexuel. Quand le livret propose un rapport proche du marivaudage, auquel la femme est toujours la plus fine, une vidéo, projetée pendant l’ouverture, donne le ton : un homme et une femme se lorgnent, et finiront par copuler sauvagement après s’être copieusement et mutuellement infligé des coups. En somme, pour faire court, rien de mieux qu’une bonne baston pour préparer une bonne baise ! Car s’il faut appeler un chat un chat, c’est à ce niveau de trivialité que Madame Scozzi ravale une œuvre où tout doit se jouer sur le sous-entendu, le suggéré, le non-dit, pour que la grivoiserie sous-jacente reste un plaisir de l’imagination. Ils la veulent tous, chante Isabella, la félicité que donnent les femmes. L’enjeu, pour elle comme pour ses sœurs, est de ne pas la donner : se faire désirer, mais ne rien accorder. L’Isabella qui nous est montrée se donne à qui la veut, prend l’initiative, met la main à la pâte pour la faire lever, si la métaphore est assez claire, et se fait sodomiser avec entrain. Et encore, il semble que nous n’avons vu qu’une version expurgée du projet initial… Pourtant, vous sentez bien que quelque chose manque, et vous avez gagné : de la dispute initiale au coït successif, on passe évidemment aux agressions armées et aux meurtres, passionnels ou passe-temps. Si les femmes ne sont pas en reste dans les luttes armées, elles sont toujours les victimes, poignardées, tuées à la hache, à la tronçonneuse, cadavres évacués sans aucune considération. Sade chez Rossini, pourquoi pas ? Non, justement, pas plus que dans L’Enlèvement au sérail il n’y a de sang dans L’Italiana in Algeri ; chez Mozart c’est grâce à la sagesse du Pacha, chez Rossini à la sottise de Mustafa. La guerre des sexes, pour le compositeur, l’homme la perd toujours parce que l’astuce est du côté des femmes. Qu’il le pense, qu’il ne s’agisse que d’un cliché à la mode, ou d’un prétexte pour masquer les violences faites aux femmes comme semble le croire Madame Scozzi, n’a pas d’importance : c’est le dernier mot de l’œuvre, et cela devrait être le sceau de l’interprétation !


Joan Martin-Royo (Taddeo) Marianna Pizzolato (isabella) Maxim Mironov (Lindoro) Pietro Spagnoli (Mustafà) © Patrice Nin

Le lecteur devinera sans peine que cette représentation a été plombée par ce parti-pris, auquel s’ajoute celui de la chorégraphie signée elle aussi Laura Scozzi. Entre le couple – étranger aux rôles chantés – dont les ébats traversent l’œuvre de part en part et les évolutions parasites des « professionnelles », en particulier dans le final du premier acte où elles tournent autour des chanteurs et passent forcément devant eux – un manque de respect pour leur travail qui éclaire sur le rapport de Madame Scozzi à la musique et au chant – il n’était pas nécessaire d’être extralucide pour deviner la tension éprouvée par les solistes. Il leur faudra à tous, à l’exception peut-être de Viktoria Yarovaya, moins exposée dans le rôle de Zulma et dont on retrouve aussitôt la riche pulpe vocale, et d’Aimery Lefèvre, que le rôle d’Haly ne met pas en première ligne, quelques minutes pour surmonter leur appréhension des réactions du public et retrouver la plénitude de leurs moyens. Si, on regrette de le dire, passé ce délai Gan-ya Ben-gur Akselrod ne nous a pas davantage convaincu qu’elle est une Elvira de référence, le Taddeo de Joan Martin-Royos s’affirme toujours plus, même quand les choix de Tal Shacham aux costumes le privent des accessoires dont le texte fait mention, lors de la cérémonie du « Kaïmakan » ; peut-être est-il un peu trop juvénile pour représenter ce vieux garçon imbu de sa lignée dont il constate mélancoliquement la déchéance, mais il nuance sensiblement le personnage, pour autant qu’on le lui ait permis. S’il est le vétéran de la distribution, Pietro Spagnoli est néanmoins dans toute la force de son âge et son Mustafà retrouve assez vite l’élan, la projection, l’étendue et l’agilité qui ont fait de lui depuis ses débuts un rossinien de premier ordre. Scéniquement, sa désinvolture est connue, et il s’adapte à ce qui lui est demandé, même si à s’exhiber si souvent en caleçon il se demande peut-être si c’est toujours nécessaire. On croit percevoir le malaise d’un interprète rompu aux difficultés des œuvres de Rossini et conscient de leur valeur quand il est contraint de se soumettre à des exigences théâtrales peu compatibles avec l’idée qu’il s’en fait. De même Maxim Mironov surprend par un vibrato et une émission serrée qu’on ne lui connaissait pas, mais rapidement il reprend le contrôle et révèle à un public qui le découvre la longueur et la souplesse de sa voix en même temps que son art des nuances dans les bijoux que sont ses deux cavatines. Sa tenue de scène a surmonté la réserve naturelle qui le rendait un peu gauche à ses débuts et désormais il est un interprète complet. Marianna Pizzolato, enfin, subjugue à son tour ceux qui ne la connaissaient pas encore ; pour elle aussi le départ est un peu atone, et puis le métier reprend le dessus et elle déploie l’éventail d’une voix profonde mais jamais lourde, capable de s’élancer en vertigineuses roulades ou de s’ouvrir en lumineuses fusées. Mais pour l’avoir déjà entendue dans le rôle, nous savons qu’elle n’est pas au mieux de ses capacités. Comment pourrait-il en être autrement dans un spectacle qui la met à si rude épreuve ? Même les chœurs, pourtant impeccables, semblent ravis d’être arrivés à la fin d’un marathon qui les a vus se changer plusieurs fois. Antonino Fogliani vient rejoindre sur la scène les chanteurs, dont plusieurs ont déjà travaillé maintes fois sous sa direction. Ils se plairont à dire, après, le soutien qu’il leur a apporté en ces circonstances où ils se sentaient en danger. Probablement stressé lui-même, il nous semble par moments diriger très vite, par exemple dans le final du premier acte, ne gardant pas de réserve pour l’accélération qui emporte tout dans sa déflagration. Mais l’honnêteté nous oblige à dire que le spectacle, dans sa conception et sa réalisation, nous perturbait tellement que souvent il a brouillé notre réception de la musique. L’ovation qu’il a reçue aux saluts a été sans mélange. Il n’en a pas été de même pour Madame Scozzi et son équipe, applaudies par beaucoup mais vigoureusement huée par d’autres. Elle n’en semblait pas autrement troublée. On souhaite ardemment pour les chanteurs et les musiciens, que délivrés de la tension de la première et réconfortés par l’accueil du public, qui n’a pas mis tout le monde dans un même sac, ils puissent épanouir leur incontestable talent au cours des autres représentations.

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