Il n’existait aucun livre de référence en français sur Stephen Sondheim ; c’est à présent chose faite et l’ouvrage proposé dans la collection de monographies de musiciens éditées par Actes Sud et la revue Classica s’impose d’emblée : il s’agit d’une somme. Sondheim est toujours très peu connu en France, mais l’adaptation cinématographique de son Sweeny Todd par Tim Burton a contribué à sortir pour le grand public son nom de l’anonymat. Auparavant, bien peu nombreux étaient ceux qui connaissaient ne serait-ce que le patronyme de l’auteur des lyrics de West Side Story ou de la musique de Stavisky d’Alain Resnais… Ces dernières années, une série de ses œuvres a pourtant été présentée au Châtelet et c’est précisément à l’occasion de la présentation dans la salle parisienne de Sunday in the Park with George (voir le compte rendu de Jean-Marcel Humbert) que ce livre est édité. Car Stephen Sondheim est considéré comme l’un des tout grands compositeurs américains de musicals. Mais la complexité de son œuvre a contribué à faire de lui un auteur connu surtout d’une élite. Quant à la complexité lexicale de ses textes, elle rend la traduction en langue étrangère extrêmement ardue et forcément réductrice, notamment pour les incessants et subtils jeux de mots.
Grand connaisseur de la musique nord-américaine, Renaud Machart avait déjà dans la même collection signé des biographies consacrées à John Adams ainsi qu’à Leonard Bernstein. Le journaliste fait ici preuve d’une érudition remarquable dans le domaine de la culture américaine, excédant largement le seul univers de la comédie musicale de Broadway. C’est ainsi à un véritable cours de civilisation américaine que l’on a droit au fil de la lecture de ce livre remarquablement bien documenté et agrémenté des habituels index, bibliographie et discographie de la série, sans oublier un glossaire fort utile. Le style est didactique, avec des correspondances très visuelles, voire sonores : Renaud Machart sait à merveille nous plonger dans l’univers de l’auteur new-yorkais. Selon ses habitudes, il affiche des opinions très tranchées sur les qualités artistiques et créatrices de Sondheim (on apprend ainsi, par exemple, que Sunday in the Park with George pourrait se contenter de son premier acte), mais l’ensemble est largement favorable au musicien, voire dithyrambique. Pour l’auteur, Sondheim est indéniablement un génie. Son admiration est telle que Renaud Machart semble se retenir de lancer la moindre pique ou remarque acerbe. Il reprend d’ailleurs le plus souvent les mots utilisés par Sondheim pour qualifier ses œuvres. Une pointe d’humour (noir ou décalé) aurait pimenté la lecture de l’ensemble. Pourtant, Machart nous rappelle que dans ses Mémoires (Finishing the Hat, 2001, volume 1 et Look, I made a Hat 2002, volume 2) « Sondheim [ne] ménage pas grand monde – lui en premier […], le tout au fil d’une plume précise, alerte et drôle ».
Il n’empêche que l’on reste impressionné par la qualité du travail de recherches et le beau résultat auquel parvient l’auteur. Les œuvres de Stephen Sondheim sont présentées par le menu, dans leur contexte de gestation, de création et de production, avec un renouvellement quasi constant des formes narratives et musicales précisément traquées et commentées par Renaud Machart, qui sait judicieusement relever les sources d’inspiration les plus variées de l’artiste, insistant plus précisément sur les références musicales (Ravel, Rachmaninov et bien d’autres). Une fois l’ouvrage refermé, on en sait un rayon sur Broadway, la comédie musicale en général et bien sûr le travail du cinéphile et parolier original mais surtout musicien fécond qu’est Sondheim. Malheureusement, l’offre reste par ailleurs trop rare, notamment en France, pour vraiment connaître celui qui est aux USA une légende vivante : on peut toutefois se procurer des DVD de diverses productions scéniques – surtout sur les sites anglos-saxons –, mais sans sous-titres et essentiellement des extraits de ses spectacles pour le disque. Cette publication et l’intérêt qui se manifeste de plus en plus pour l’œuvre de l’Américain nous donneront peut-être l’opportunité de découvrir de nouvelles parutions visuelles et sonores, complètes, avec sous-titres anglais et français.