Les ouvrages en français sur les artistes lyriques sont suffisamment rares pour que l’on se réjouisse de la publication par Buchet Chastel de ces Grands chanteurs du XXe siècle. Gage supplémentaire de satisfaction, l’auteur, Richard Martet, est un spécialiste incontestable de la question ; il dirige la rédaction d’Opéra Magazine depuis sa création en 2005. Le plus grand sérieux a donc présidé à l’élaboration de ce recueil. A commencer par la sélection : cinquante chanteurs, pas un de plus, au masculin (le féminin devrait, on suppose, faire l’objet d’un autre volume), nés après 1873 et avant 1946. Pourquoi ces deux années ? Parce que la première balise la naissance d’Enrico Caruso et la seconde celle de José Carreras. A Alfred Deller échoit l’honneur de représenter à lui seul la catégorie des contre-ténors. La redécouverte de cette tessiture est pourtant l’un des faits vocal majeur du XXe siècle. James Bowman a vu le jour en 1941 et René Jacobs en 1946. Pas de controverse en revanche pour Rockwell Blake et Chris Merrit, écartés en toute légitimité de la sélection car nés respectivement en 1951 et 1952, même si la palingénésie du ténor rossinien représente l’autre événement de l’histoire du chant du novecento. La subjectivité régit le genre. Richard Martet prévient dès les premières lignes de son avant-propos : le choix n’a pas été facile.
Pour le reste, ils sont tous là, les rois du contre-ut et les dieux des planches de l’avant et de l’après-guerre, et quand ils n’y sont pas, l’auteur a pris le soin « d’évoquer leur souvenir dans un chapitre consacré à leurs contemporains ou héritiers ». On n’en citera aucun pour ne pas les citer tous. Répartis en deux groupes par ordre chronologique – les ténors et le contre-ténor d’un côté, les barytons et les basses de l’autre –, ils se présentent en plus ou moins de pages de manière identique : photo (une seule), introduction, biographie, discographie s’il y a lieu, portrait vocal et conclusion. Un schéma immuable qui décourage toute lecture linéaire sous peine de trouver vite le temps long. Mieux vaut picorer les entrées de ci, de là, en s’aidant du CD qui accompagne le livre : huit heures de musique, cent extraits sonores cités en fin de chapitre sans aucun commentaire, détachés de leur contexte comme des pierres précieuses non serties.
Evidemment, on est en droit de préférer pour raconter ces artistes d’exception une écriture plus lyrique, à l’image de ces grandes voix qu’elle décrit. Le style de Richard Martet, dépouillé de figures, n’est pas de ceux qui exaltent. Mais son regard, la rectitude avec laquelle il aborde sans imposer d’angle de vue chacun de ces chanteurs légendaires est volonté d’impartialité. Entre l’emphase souvent absconse de certains et la pointe sèche qui prévaut ici, il reste de la place pour un dictionnaire des chanteurs d’opéra, qui serait au français ce que le Grove est à l’anglais : une référence.