Le Festspielhaus de Baden-Baden faisait salle quasi comble ce samedi pour Max Raabe et son Palast Orchester, comme tous les ans. Peu connu en France, excepté des germanophiles, le chanteur est pourtant en Allemagne une superstar qui remplit stades et salles de spectacles, du parterre au poulailler. Son répertoire, conséquent, s’enrichit année après année et reprend des « Schlager » (standards) de l’époque de Weimar mais comprend également de nombreux airs en anglais, ce qui a contribué à faire connaître Matthias Otto, alias Max Raabe (Rabe signifie corbeau en allemand), dans le monde entier, y compris aux États-Unis où il fait un tabac. Alors qu’il a suivi une solide formation lyrique à Berlin, le baryton a délaissé le répertoire classique et sa tessiture naturelle pour une voix assez improbable, mi-nasillarde, mi-falsettiste, mais fascinante de séduction immédiate et de douceur gominée. Impeccable dans sa queue de pie et son air d’enfant de chœur à qui on ne donnerait pas le bon dieu sans confession, le chanteur a préféré un répertoire populaire et des compositions de Friedrich Hollaender, Fritz Rotter, Eduard May ou encore George Gershwin, mises en valeur par les sonorités recherchées de son Palast Orchester. Ces musiciens chevronnés qui poussent également la chansonnette rivalisent de virtuosité à tour de rôle à coups de solos, entre cabaret berlinois et music-hall américain, toujours à la limite du couac ou du caquetage, dans des dérapages contrôlés pour un tour de chant millimétré ultra-professionnel.
Très influencé par les Comedian Harmonists, sextuor allemand ultra-sophistiqué de l’entre-deux-guerres dont il reprend largement le répertoire, Max Raabe pratique, comme eux, avec grand art, une prosodie décalée et ironique, compose d’ailleurs lui-même des chansons, telles que Küssen kann man nicht alleine (On ne peut pas s’embrasser tout seul). Pour donner un équivalent français, on se situerait quelque part entre Bourvil et les Frères Jacques. Évidemment, mieux vaut comprendre les subtilités de la langue allemande pour goûter les jeux de mots inénarrables chantés, sifflés comme un merle mais aussi racontés par Max Raabe qui fait ses introductions, pince-sans-rire, devant un public riant de ses calembours et calembredaines à la limite de l’absurde. Ceux qui sont moins familiers avec la langue de Goethe y trouveront tout de même leur compte, ne serait-ce que de par la fascination que ce drôle d’oiseau exerce sur son public. Fascination qui ne manque pas de surprendre, car enfin, l’homme ne bouge guère, évoquant un Buster Keaton au masque figé, sans le jeu de jambes. Il ne fait rien, certes, mais il le fait avec grâce… Il faut le voir accoudé nonchalamment sur le piano, bayant aux corneilles, dandy décadent immobile, pendant que ses compères jouent aux faire-valoir. Le tout est proprement irrésistible.
On retiendra de ce programme de deux heures, entre autres, une interprétation en quintette du mythique Ich bin von Kopf bis Fuβ auf Liebe eingestellt, un fringuant I got Rhythm ou encore un Dein ist mein ganzes Herz très différent, on l’aura compris, de ceux de Jonas Kaufmann ou de Klaus Florian Vogt… Pas de concert parisien en perspective pour le moment, mais une tournée en Allemagne et dans le nord de l’Europe avec aussi un récital prévu à Strasbourg les 30 et 31 janvier prochain, histoire, pour quelques-uns d’entre nous (Strasbourg est à quelque deux heures de train de Paris), d’aller vérifier sur pièces que le ramage de ce corbeau est bien en rapport avec son plumage.