Le relatif désintérêt de la France pour ses compositeurs ne date pas d’hier. Prenez Monsieur Beaucaire d’André Messager, exhumé ce dimanche à Paris sous forme d’ « opéra radiophonique » grâce aux efforts conjugués de l’Opéra Comique, des ensembles de Radio France et de France Culture (pourquoi pas France Musique ? Mystère). Créée avec succès à Birmingham en 1919 sur un livret en langue anglaise, applaudie ensuite 221 fois à Londres et 143 fois à New York, cette opérette romantique attendit 1925 pour être traduite et représentée à Paris au Théâtre Marigny, puis à la Gaité-Lyrique avant de faire enfin son entrée Salle Favart en 1954 avec Denise Duval et Jacques Jansen. Depuis rien ou presque…
La partition, comme pratiquement toutes celles de Messager, mériterait pourtant davantage de considération. Le magazine Opérette Théâtre Musical nous apprend que Roland Manuel jugeait son orchestration rien moins que « prestigieuse » tandis que le très wagnérien Louis Oster, dans le Guide raisonné et déraisonnable de l’opérette et de la comédie musicale (Fayard, 2008) qualifie l’œuvre de « spirituelle, éloquente, pleine de fraîcheur et de grâce ».
De bal en bal dans la ville d’eau de Bath en Angleterre au milieu du 18e siècle, le Duc d’Orléans, caché sous le pseudonyme roturier de Beaucaire, tente d’être aimé pour lui-même, et non pour son titre, par l’irrésistible Lady Mary. Faut-il préciser qu’au mépris de toute réalité historique, il parviendra à ses fins, scellant entre la France et le Royaume-Uni, un siècle avant l’heure, une entente cordiale à laquelle le Brexit apporte aujourd’hui un démenti consternant.
La Belle Epoque ne pouvait que succomber à cette succession de pages tirées à quatre épingles : pastiches de menuets et de pastorales, duos au lyrisme délicat, ensembles subtilement échafaudés formant un bouquet de fleurs d’où se détache « la rose rouge » qu’a si bien cueillie André Baugé dans les années 1930. Que la cartographie vocale soit imitée de La Veuve Joyeuse peut être une coïncidence. Messager a souvent confié à un baryton le premier rôle masculin – Beaucaire mais aussi Florestan dans Véronique ou Kermao dans Coup de roulis. Relégué au second plan malgré sa tessiture de ténor, Julien Behr, d’un chant à l’émission judicieusement datée, endosse sans un pli son costume d’ange gardien. Reste que des deux sopranos, l’une – Lucy – est censée être plus légère que l’autre – Mary – quand les voix de Jodie Devos et d’Anne-Catherine Gillet, fraîches et charmantes, semblent trop identiques. C’est la seule faiblesse d’une distribution sans contresens sinon d’où se détache avec une élégance qui ne manque ni d’allure, ni d’héroïsme Jean-François Lapointe dans le rôle de Beaucaire.
Etions-nous cependant le mieux placé (au sens propre du terme) pour donner un avis ? Présenté comme une entreprise inédite, l’« opéra radiophonique » s’avère une forme de spectacle hybride, entre version de concert et représentation scénique, destinée à être retransmise sur les ondes hertziennes, un bruiteur donnant à entendre ce que l’œil ne voit pas : portes qui claquent, cartes que l’on bat et que l’on abat, épées qui s’entrechoquent… Si, du premier balcon du Studio 104, l’on ne capte qu’un mot sur deux du texte chanté – voire selon les interprètes un sur trois –, si les dialogues amplifiés et remarquablement dits par les chanteurs et les comédiens, sont au contraire clairement distincts, comme surlignés, si la masse chorale paraît souvent brumeuse quand l’orchestre, menée par Sébastien Rouland avec l’extrême précision requise, prend le pas sur les voix, n’est-ce pas justement parce que le spectacle est conçu pour être apprécié non dans une salle mais à la radio, dans le confort de son salon, une fois l’équilibre des volumes rétabli par la prise de son ? Réponse le 1er janvier 2017 sur France Culture.