Olga Peretyatko est en ce moment en tournée avec un programme qui correspond point pour point au contenu du disque Rossini ! sorti à l’automne dernier. La belle diva russe sait d’emblée se mettre le public du Festspielhaus de Baden-Baden dans la poche en s’adressant à lui en allemand – qu’elle parle remarquablement bien au demeurant –, présentant avec humour chacun de ses rôles. La jeune femme se tire sans peine de cette gymnastique qui la fait passer d’une langue à une autre sans problème. Sportive, la chanteuse l’est assurément : outre le yoga et le jogging auxquels elle affirme s’adonner régulièrement dans l’entretien qu’elle avait accordé à Camille de Rijck, on sait qu’elle souhaitait devenir danseuse et qu’elle aurait également pratiqué le karaté. Elle s’affiche comme soprano de combat. Peut-être, mais quand on la voit arriver sur la scène du Festspielhaus mince et élégantissime dans une mousseline rouge en dentelles, drapé et plissés combinés au tombé impeccable, on a du mal à se l’imaginer en karatéka, quoique son sens de la respiration et sa gestion du souffle témoignent du caractère athlétique de sa formation. En revanche, ses bras la disent danseuse jusqu’au bout des ongles. Et c’est sans doute ce qu’on retiendra de cette soirée où chaque note a été soutenue, embellie et sublimée par une gestuelle d’une grâce aussi naturelle que sophistiquée.
C’est donc avant tout un plaisir visuel que nous offre le soprano. Ravissante, la cantatrice se coule sans peine dans ses personnages : frivole délicieuse en comtesse de Folleville, poétesse éthérée en Corinne (« croyez-moi, même les Italiens ne comprennent pas ses vers », nous lance-t-elle), catastrophée mais résistante en Fiorilla qui vient de se voir notifier par lettre son renvoi du domicile conjugal, elle retrouve ses esprits et nous annonce que c’est l’heure du champagne. Après la pause et un changement pour une robe fuchsia tout aussi affriolante que la précédente rouge écarlate, elle nous propose une Semiramide très (trop ?) intériorisée, puis une touchante Amenaide résignée et sage avant de triompher en Matilde qui a enfin réussi à rendre amoureux fou celui qui ne pensait qu’à guerroyer. « Nous les femmes sommes nées pour vaincre et régner », nous martèle-t-elle en boucle dans une pyrotechnie jouissive, au féminisme flatteur, qui conclut le programme officiel. Le rappel s’impose : il manquait Rosine, elle nous l’offre sur un plateau. Tiens, tiens, se dit-on, elle marche sur les brisées de Maria Callas, voilà qui est périlleux… Eh bien, rien à dire sur l’art, magistral sinon martial, de placer les bras ! Au plus près du corps, expressifs et gracieux, ils équilibrent mieux qu’harmonieusement la performance de la belle.
© Andrea Kremper
Qu’en est-il de la voix, peut-on se demander à juste titre ? Puisque l’œil est à la fête, l’oreille se met aisément au diapason. Quoique, les goûts et les couleurs… « Les aigus ont un peu perdu de leur mordant », se plaint-on à côté, « et tout cela est à la limite de la justesse ». « Cela manque de couleur et de feu, on s’ennuie… », entend-on également. Certes, ces critiques sont légitimes et Olga Peretyatko s’adapte à ses moyens actuels… ou s’économise peut-être ? Il n’est qu’à consulter le calendrier de ses pérégrinations : elle revient de Shanghai, avant d’enchaîner avec Vienne puis Paris… Si elle nous prive de certains suraigus qu’on avait pu aduler chez ses consœurs, Sutherland et Anderson en tête, son approche fait sens et s’inscrit, nous semble-t-il, parfaitement dans cette liberté qu’on peut s’accorder avec Rossini. Le maître de Pesaro est bien connu de la chanteuse pétersbourgeoise, qui aime rappeler qu’elle a commencé avec lui et revient régulièrement à son œuvre. On la sent en phase avec le créateur et son univers, qu’elle s’est manifestement approprié, avec intelligence, vivacité, indépendance et humour. En plus de sa fantaisie et de sa richesse inventive, la ligne de chant est fluide et les trilles se font bruissement, voire caresse subtile d’une note à l’autre, ce qui confère une sensualité voluptueuse à son interprétation. Elle est, en outre, merveilleusement accompagnée par l’Accademia Bizantina sous la direction inspirée d’Ottavio Dantone.
Quand on lui fait remarquer qu’elle est très belle, la chanteuse dénie et répond volontiers : « je ne suis qu’experte en maquillage ». On est bien sûr conscient du travail, de la discipline et de la technique virtuose de cette professionnelle, née, il faut s’en souvenir, à Leningrad… À la voir et à l’entendre, tout paraît facile, spontané, naturel. Les difficultés s’évanouissent et il faut bien dire qu’on s’en contrefiche, de ces écueils, trop occupée à se réjouir de tant de beauté. On en serait, sinon jalouse, du moins envieuse ou désireuse de s’approcher de tant de classe. N’est-ce pas le propre des grands artistes et des icônes que d’être un miroir dans lequel on voudrait se refléter ? Audrey Hepburn et Maria Callas peuvent reposer tranquilles : elles ont fait des émules et leur enseignement a porté ses fruits, ne serait-ce que pour la transmission des gestes augustes. Salut à l’impériale Olga !