Il y a en chaque chanteuse – et chanteur – germanique un LiederSänger qui ne sommeille pas. Un récital parisien de Diana Damarau le rappelle à ceux qui auraient pensé que cette Reine de la nuit mémorable, cette Lucia aujourd’hui de référence avait l’opéra pour seul terrain d’expression. Au programme Schubert, Liszt, Rachmaninov et Strauss. A l’exception de ce dernier – et encore ! –, des compositeurs assez éloignés du répertoire dans lequel s’ébat habituellement celle qui dès 2008 fut nommée « Singer of the Year » par le magazine Opernwelt.
Sur la scène du Palais Garnier, sanglée dans une robe longue noire, d’une blondeur walkyrienne, Diana Damrau se présente radieuse au sommet de son art. Son soprano, autrefois colorature, a conquis au fil des ans une nouvelle assise sans que l’émail du timbre n’en soit altéré. La souplesse et la pureté de l’émission demeurent intactes tandis que le médium, désormais étoffé, autorise une palette élargie de couleurs.
On découvre alors – si on ne le savait pas – que Diana Damrau possède ô combien ce talent de conteuse qu’exige l’art de la mélodie. Installer d’un sourire une complicité avec le public, créer un sentiment d’intimité malgré la grandeur de la salle, savoir passer d’un climat à l’autre, en quelques secondes, par un simple froncement de sourcil – l’interprète baisse la tête, la relève et avant même d’ouvrir bouche, le visage métamorphosé raconte une nouvelle histoire. Chez Schubert, l’ivresse de Ganymède enlevé par Jupiter succède au badinage de « Geheimes » ou à la fièvre amoureuse de « Rastlose Liebe »… Chez Liszt, des sentiments tumultueux agitent les Trois sonnets de Petrarque – et c’est Violetta à la fin du premier acte de La traviata que suggère la fébrilité de l’interprétation. Chez Strauss, l’imploration enflammée de « Cäcilie », l’élan confiant de « Winterliebe »… Chez Rachmaninov, la pureté de « Siren » propice à l’apaisement… On peut tourner ainsi, une à une, toutes les pages du programme : Diana Damrau sait restituer l’exacte humeur de chacune des pièces proposées sans qu’il soit nécessaire de lire les surtitres pour en vérifier le sens.
Son partenaire, Helmut Deutsch, n’a rien à lui envier en termes d’éloquence au point que l’on se laisse parfois distraire par le son du piano et par le spectacle du pianiste, penché sur son clavier, massif et appliqué, tel un débutant qui déchiffrerait la partition, sauf que les sons qui s’échappent de l’instrument semblent doués de parole.
D’un geste autoritaire à plusieurs reprises, sa main levée arrête des applaudissements malvenus. Le rite exige de ne pas applaudir après chaque numéro mais d’attendre la fin d’un cycle ou un changement de compositeur pour manifester son enthousiasme. Diana Damrau, elle, accueille ces quelques écarts d’un sourire pincé. C’est qu’une telle excellence est le fruit d’un travail et d’une concentration extrêmes dont on ne saurait déranger l’ordre sans la mettre en péril. L’interprétation, dans sa blondeur rigoureuse, n’a pourtant rien de glacé ou de mécanique. Quatre bis, empruntés au même répertoire, montrent d’ailleurs la soprano, telle qu’en elle-même, détendue, rieuse, offrant des « mercis » gracieux, prenant brièvement la parole pour annoncer les titres des mélodies interprétées, s’esclaffant lorsque qu’elle rate un départ et recevant, joviale, un bouquet de fleurs des mains d’un spectateur qui, à juste titre, préfère les blondes.