La quasi absence de troupe en France ne permet plus guère aux chanteurs de travailler longtemps ensemble une prise de rôle ni une production en tournée. Et même les coproductions, qui cherchent à réduire les coûts par tous les moyens, changent au gré des déplacements la quasi-totalité des équipes musicales et lyriques. Comment dans ces conditions imaginer pouvoir créer la cohésion et la dynamique entre les protagonistes d’une œuvre aussi délicate que Roméo et Juliette ?
D’autant que la production partait déjà avec de sérieux handicaps déjà soulignés par Christophe Rizoud dans son compte rendu des représentations de Tours en janvier 2013, en particulier les costumes d’une laideur rare : « perruque rousse qui donne à Juliette l’air fané d’Élisabeth première d’Angleterre, Roméo transformé en épigone de Luis Mariano dans Le Prince de Madrid » et une mise en scène « qui plombe le spectacle ». On retrouve ce soir tous ces défauts, qui pourtant auraient pu être améliorés : Sonya Yoncheva n’avait-elle pas à Avignon, en mai 2013, refusé tout artifice pour paraître jeune, belle et naturelle ? (voir le compte rendu de Fabrice Malkani). Ce soir, malgré sa belle chevelure blonde maladroitement coiffée « façon vaguement élisabéthaine », la Juliette de Vannina Santoni paraît guindée et guère à son avantage
© Opéra de Massy / Christian Badeuil
Comment cette production, accueillie plutôt froidement ce soir par un public d’abonnés habitués à Massy à une qualité d’un niveau supérieur, survit-elle donc à ses déplacements ? Essentiellement grâce au chef Cyril Diederich, qui insuffle force et jeunesse à la partition de Gounod magnifiquement défendue par un orchestre national d’Île-de-France au mieux de sa forme. Il est d’autant plus curieux que le plateau paraisse alors si terne et peu concerné, à commencer par Florian Laconi qui semble s’ennuyer ferme… Sans doute s’agit-il d’une méforme passagère qui de plus l’amène à des écarts de justesse dans la plupart des fins de phrase insuffisamment soutenues, notamment lorsqu’il essaie de faire des demi-teintes qui, d’évidence, ne sont pas sa spécialité.
Sa Juliette, Vannina Santoni, paraît à côté bien fade et surtout peu naturelle, occupée qu’elle est à maintenir une manière de chanter un peu surannée : qu’elle sorte de ce carcan, et elle peut devenir une agréable Juliette car elle en a les moyens vocaux. Le reste de la troupe (y compris un comte Capulet vraiment épuisé) est à l’unisson, facilement dominé par le charmant Stephano d’Eduarda Melo, et l’impressionnant frère Laurent de Jérôme Varnier. L’un et l’autre ont bien assimilé la tradition de l’opéra français, tout en lui apportant une note de spontanéité et de modernité bien en accord avec l’évolution actuelle de l’art lyrique. On regrette enfin l’absence du ballet du quatrième acte, donné uniquement à Avignon.