En 2006, Alex Esposito faisait des débuts remarqués au Rossini Opera Festival dans le petit rôle d’Haly de L’Italiana in Algeri. Sept éditions plus tard, on le retrouve, dans la même œuvre et le même lieu, mais cette fois en haut de l’affiche, en Mustafà, dans une production qui semble avoir été conçue à son intention. Dire pour autant que le spectacle repose entièrement sur ses épaules serait inexact : la silhouette hollywoodienne, aux jambes infinies et au glamour ravageur d’Anna Goryachova a aussi visiblement inspiré certains partis-pris scéniques. Mais, sans vouloir tirer la couverture à lui, la basse italienne a vite fait de monopoliser l’attention. Parce que pour une fois, le Bey d’Alger mis en musique par Rossini n’est pas un poussah mais un homme jeune au physique athlétique, d’une virilité exacerbée, moins ridicule que dangereux, bête et méchant. Isabella a enfin en face d’elle un adversaire à sa mesure, sa victoire n’en sera que plus magistrale. Parce qu’à cette composition inhabituelle, s’ajoute un investissement physique de chaque instant. En short et chemise largement ouverte ou en costume bariolé, Alex Esposito bouge, marche, court, danse, gesticule avec une aisance naturelle sans s’accorder un moment de répit. Parce que surtout, son chant n’appelle que des éloges, qu’il s’agisse d’affronter les assauts martiaux de son premier air, « Già d’insolito ardore nel petto », si héroïque qu’on préfère parfois le couper, ou d’obéir au rythme haletant des nombreux ensembles qui parsèment l’œuvre. Dans tous les cas, la voix s’impose : timbrée, sonore, souple, longue au point que le contre-Sol du « Pappataci », fulgurant, semble moins un exploit qu’une formalité.
Seul inconvénient : comment exister face à un tel Mustafà ? Ainsi, l’Isabella choucroutée d’Anna Goryachova, si sexy soit l’allure, si pulpeuse soit la voix, dotée d’un authentique timbre de contralto, sombre, velouté, homogène, ne fait pas montre du même impact vocal. Déjà plus ou moins audible dans les arias selon la place que l’on occupe dans le pourtant petit Teatro Rossini, elle disparaît dans les ensembles. Yijie Shi ne souffre, lui, en aucun cas d’un déficit de volume sonore. Cependant, le sex appeal vocal du ténor s’avère plus discutable (timbre quelque peu nasal et métallique), ce qui dans un rôle de jeune premier comme Lindoro, gratifié qui plus est d’un des airs de ténor les plus tendres écrits par Rossini (« Languir per una bella »), est problématique. L’Elvira de Mariangela Sicilia a pour elle une vrai présence scénique et sonore, mais au prix de quelques stridences. Seul Mario Cassi se montre en mesure de tenir la dragée haute à Mustafà. Taddeo n’est pas le plus exigeant des rôles et le baryton, qui ne manque ni de bagout, ni de puissance, maîtrise parfaitement le personnage.
Cependant, plus que le relatif déséquilibre du plateau, on pointera du doigt la direction imprécise de José Ramón Encinar, mise en évidence par des ensembles plutôt brouillons. Le chef est d’ailleurs chahuté par une partie du public au moment des saluts. On déplorera enfin que la mise en scène de Davide Livermore ne tienne pas les promesses d’un Ciro in Babilonia qui avait marqué les esprits lors de la précédente édition du festival, et d’une ouverture drôle et intelligente, retraçant façon dessin animé les événements ayant concouru à la situation au moment où débute l’œuvre. Sur une bonne idée de départ – la transposition de l’intrigue dans un univers psychédélique, entre Barbarella et Mars attacks, le tout dans le contexte d’un royaume pétrolier – avec une utilisation réjouissante des couleurs et imaginative de la vidéo, elle s’avère finalement décevante. Non qu’il y ait trop de gags comme souvent dans les mises en scène modernes, mais à rechercher l’originalité plus que l’effet, la plupart tombent à plat. De même l’agitation permanente des protagonistes avec des pas de danse vus cent fois agace plus qu’elle n’amuse. Le rire est une mécanique délicate que Davide Livermore n’est pas parvenu à totalement régler.
Au sortir du spectacle, on ne peut que souhaiter au Haly de l’équipe réunie ce soir, Davide Luciano, de devenir bientôt, à l’exemple d’Alex Esposito, le roi du pétrole.