Et dire que Georges Bizet, sacrifiant à la mode de son temps, avait choisi de mettre en musique Les Pêcheurs de perles en raison de l’exotisme du livret. Si aujourd’hui l’on aime la mise en scène de Vincent Boussard à l’Opéra national du Rhin, c’est notamment parce qu’elle refuse tout orientalisme, a fortiori de pacotille. L’approche, métaphorique, demande à être décodée pour éviter d’en méconnaître les intentions, à l’exemple des spectateurs qui, le soir de la première, ont conspué le metteur en scène et son équipe. Là est son principal défaut. Pas de plage cingalaise, de saris colorés et de pêcheurs d’huîtres perlières, mais un musicien, que l’on reconnait être Georges Bizet, face à son piano, enfermé dans un hémicycle, comme le toréador dans l’arène (une allusion à Carmen ?).
L’histoire, dont chacun de tout temps a souligné la faiblesse, sert de prétexte à une réflexion sur le processus créatif. Tel Zurga partagé entre ses sentiments pour Leila et Nadir, le compositeur se débat avec ses personnages. La partition biffée rageusement, le piano brisé au milieu de l’eau symbolisent le naufrage de l’inspiration. Leila, désirée et perdue, est envisagée comme une allégorie de cet art lyrique dont Bizet, âgé de 24 ans quand il composa Les Pêcheurs de perles, voulait devenir le maître. D’indigent, le propos ainsi considéré devient pertinent. Le décor de Vincent Lemaire et les costumes de Christian Lacroix esthétisent l’approche. L’attention portée au geste et aux mouvements en consacre l’intelligence.
Musicalement, que faudrait-il pour que la représentation atteigne le même niveau de réussite ? Peu de choses au regard des satisfactions qu’elle procure : un chœur aux pupitres plus équilibrés ; une direction d’orchestre aux contrastes plus affirmés (est-ce par souci de clarté que Patrick Davin contient le lyrisme dont on aimerait qu’il fasse davantage preuve ?) ; un Nadir, tout aussi fougueux, mais aux transports mieux contrôlés. Que Sébastien Guèze tempère son émission, comme il le fait lors de sa fameuse romance, usant à propos de la voix mixte, et c’est toute la poésie du rôle qui s’exprime.
Projeté au cœur de l’ouvrage par le parti-pris scénique, Etienne Dupuis assume sans faillir le poids que lui font porter à part égale Vincent Boussard et Georges Bizet. De Zurga, le baryton canadien propose un portrait plus nuancé que souvent, servi par une diction irréprochable. Au fil de la soirée, conformément aux enjeux dramatiques de l’ouvrage, la voix gagne en autorité et en noirceur jusqu’à un « Ô Nadir, tendre ami de mon jeune âge », stupéfiant de vérité. Le duo avec Leila pousse l’émotion un cran plus loin. Annick Massis apparaît idéale dans ce rôle qui lui permet de faire valoir ses qualités techniques et dramatiques. Les influences italiennes de la partition sont autant d’occasions d’exposer une maîtrise exceptionnelle du souffle et de la colorature. Quelques suraigus, inattendus mais à propos, ponctuent l’interprétation. La pureté d’émission reste remarquable. Suprême, le chant rejoint la volonté allégorique du metteur en scène, apportant à cette production une magnifique cohérence.
Strasbourg – Opéra : mar 21 mai 20h, jeu 23 mai 20h, dim 26 mai 15h, mar 28 mai 20h, jeu 30 mai 20h
Mulhouse – La Filature : ven 7 juin 20h, dim 9 juin 15h
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> Lire l’interview d’Annick Massis par Brigitte Cormier