C’est avant tout Valery Gergiev qu’on attendait, avec beaucoup de curiosité, pour cette interprétation du Requiem de Verdi programmé dans le cadre du Festspielhaus de Baden-Baden. La star russe est un habitué de la ville d’eau allemande dont il est l’invité très régulier, particulièrement apprécié du public. Et il faut dire que le bouillant chef se montre, en tous points, remarquable : sa direction d’orchestre est tout simplement magistrale. Allait-il nous proposer un Requiem plus proche de l’opéra ou de l’église, sempiternelle question que l’on se pose avant toute nouvelle écoute de cet ouvrage sublime ? C’est sur une troisième voie que l’on s’engage ici. Son Requiem est curieusement visuel, très cinématographique, dans un esprit plus proche de l’Alexandre Nevski d’Eisenstein mis en musique par Prokofiev ou de l’expressionnisme allemand que dans le sillage hollywoodien. L’œuvre, dont on a pu reconnaître chaque note sans équivoque, a pourtant été largement revisitée, avec de nouvelles couleurs orchestrales, un tempo globalement très rapide qui n’enlève cependant rien à la solennité de l’ensemble, avec en particulier l’émergence d’un certain nombre d’instruments ici individuellement mis en valeur dans des choix surprenants mais convaincants.
Les mains de Valery Gergiev sont rien moins que fascinantes, expressives au plus haut point, jusque dans leur moindre frémissement. Le chef dirige sans baguette un effectif de plus de cent personnes qu’il domine sans peine avec un charisme extraordinaire, tour à tour silhouette « nosfératique », dos voûté, véritable diable noir, ou digne et élégant, dressé de toute sa hauteur en avatar verdien. La mort plane sur l’auditoire du Festspielhaus, « kaléidoscopiquement » présente. Rien de consolateur dans cette interprétation, pas même d’appel aux larmes, mais une sensation omniprésente d’une mort à l’œuvre, d’un jugement dernier en quelque sorte. Le Dies irae est à la fois terrifiant et envahisseur, véritable tsunami sonore, parachevé en Lacrimosa superbe, grandiose et rituel, impérial en un mot. Les ruptures sont cultivées avec art, silences marqués et enveloppants, rouleau compresseur de l’effectif au grand complet, en parfait contraste. Bref, une interprétation à la fois respectueuse de l’œuvre et vraiment originale.
Le quatuor vocal est en belle harmonie, merveilleusement intégré au traitement général de l’œuvre. Viktoria Yastrebova est une soprano au timbre clair et doté d’un vibrato ample. On se souviendra avant tout du caractère angélique de son interprétation visiblement travaillé et maîtrisé à la perfection pour l’occasion. Du grand art. La mezzo Olga Borodina s’avère moins surprenante, mais sa prestation est mieux qu’honnête. La voix est puissante, chaleureuse, réellement habitée. Le ténor Sergei Semishkur, s’il est vocalement en phase avec ses partenaires et surtout l’orchestre, manque singulièrement de puissance, ce qui affadit considérablement ses interventions qui sans cela, auraient pu être remarquables. Dommage, vraiment. Quant à Ildar Abdrazakov, cette basse russe possède un organe aux profondeurs caverneuses si jouissives à l’oreille et aux sens. Exceptionnellement expressif, son chant s’est fait tour à tour consolateur, désespéré et directement en prise avec la stupeur devant la mort. Belle soirée, vraiment !