La création de la mise en scène de Katia Kabanova de Christoph Marthaler avait fait sensation en 1998 à Salzbourg. Elle est régulièrement reprise depuis et, qu’on l’aime ou qu’on la déteste, force est de reconnaître qu’elle fonctionne toujours. « La mise en scène n’a pas vieilli », « C’est du Marthaler acceptable », entend-on à la sortie. Celui qui voit ce spectacle pour la première fois est tout de même irrité par ce qui, après toutes ces années, est à ranger aujourd’hui au rayon des tics et artifices qui encombrent trop de mises en scène actuelles.
A ce propos, l’argument dans le programme décrit en détail les didascalies du livret original. La confrontation avec ce qui se passe sur scène a de quoi surprendre plus d’un spectateur. Ce sont donc bien l’orchestre, le chef et les magnifiques chanteurs réunis par l’Opéra de Paris qui, au final, emportent l’adhésion.
Le parti pris de Marthaler de situer Katia dans une cour d’immeuble délabré d’un pays communiste, quelques années avant la chute du mur, est juste et efficace. Il montre avec force comment une société coercitive et étouffante ne laisse aux personnes éprises d’autonomie et de liberté d’autre issue que la fuite, jusqu’au suicide même. Ce qui gêne souvent c’est un certain systématisme qui fait que cette mise en scène se « voit » trop, aux dépens de la musique. Trop de poses et de mouvements devenus mécaniques dans lesquels les chanteurs sont engoncés. Trop de moments où les chanteurs doivent chanter en fond de scène sur des tutti d’orchestre (et ce n’est pas la faute du chef, pour une fois, s’ils sont couverts). Trop d’anecdotes concomitantes, en scène, au moment où le spectateur voudrait n’être confronté qu’eux seuls personnages. Le théâtre n’exige jamais qu’un moment sublime de musique et de chant soit parasité par de multiples actions parallèles alors qu’on sait que le moindre geste extérieur nous distrait de l’essentiel (fenêtres qui s’ouvrent, figurants qui apparaissent, Kabanicha qui s’affaire sans arrêt dans sa chambre, personnages secondaires qui se mettent à danser quand le personnage chante la plus intérieure des musiques). L’ironie est le fort de Marthaler et, plus d’une fois, elle vient à point nommé, mais trop c’est trop. Ainsi, le gag du jet d’eau, au milieu de la cour, en devient vulgaire.
Rendons grâce aux chanteurs et musiciens qui sont simplement admirables. Angela Denoke est bouleversante. Une voix cuivrée et large, une présence physique où la fragilité est l’expression de la force et de la détermination, un phrasé où le lyrisme peut aller jusqu’au cri. Durant les deux heures que dure le spectacle (il n’y a pas d’entracte) elle brûle les planches. A ses côtés, deux ténors de haut vol : Donald Kaasch, mari veule et méprisable, à la voix et aux aigus toujours aussi brillants, et Jorma Silvasti, amant tout aussi lâche, au timbre clair et lyrique. La mezzo-soprano Andrea Hill incarne la chipie Varvara avec brio et une voix sans faille tandis que son amant Kudriach est incarné avec la même vaillance par le jeune ténor Ales Briscein. Jane Henschel, dont la présence scénique s’affirme de plus en plus, est une Kabanicha effrayante et Vincent le Texier trouve dans le marchand Savio un rôle à la mesure de son talent et de sa voix. Mention spéciale au jeune baryton Michal Partyka (Kuligin), qui avait déjà fait impression, par son beau timbre, dans Street Scene, l’opéra de Kurt Weil monté par l’Ecole d’Art Lyrique.
Enfin le chef tchèque Thomas Netopil fait chanter cette musique avec une émotion et un lyrisme exceptionnels (Les cordes de l’orchestre de l’Opéra vibrent avec une sensualité rare). Il sait s’en distancier en dessinant, avec une juste dérision, ces arêtes, ces silences abrupts et ces ruptures qui fourmillent dans la partition de Janacek et qui créent ce sentiment de frustration qui colle si bien à l’action. Dans ces conditions, Garnier fait le plein et tous ces artistes méritent les ovations qui les remercient.