Créé au Théâtre des Italiens à Paris en 1843 avec une distribution extrêmement brillante, Don Pasquale s’inscrit dans la tradition de l’opera buffa, un genre né à Naples plus d’un siècle auparavant avec La Serva Padrona de Pergolese, auquel Donizetti rend un ultime hommage. Si l’on y retrouve le schéma habituel du vieux barbon qui envisage d’épouser un tendron et se fait berner par la belle et son amoureux avec l’aide d’un complice rusé, les personnages, notamment le rôle-titre, bénéficient d’une plus grande profondeur psychologique qu’à l’accoutumée. L’ouvrage connait un succès immédiat et sera repris durablement sur les plus grandes scènes du monde. C’est en 1994 que Paris l’applaudit pour la dernière fois à l’Opéra-comique à l’occasion des adieux à la scène de Gabriel Bacquier.
Qui mieux que Riccardo Muti pouvait assurer le retour de cette œuvre sur une scène parisienne ? Le chef napolitain connaît en effet son Don Pasquale sur le bout des doigts : il le dirige pour ses débuts à Salzbourg en 1971, l’enregistre pour EMI en 19841, le reprend à la Scala dix ans plus tard2 et depuis 2006, il tourne à travers l’Europe avec cet ouvrage3 à la tête de l’Orchestra Giovanile Luigi Cherubini qui est constitué, comme son nom l’indique, de jeunes musiciens, fraîchement sorti des différents conservatoires de la péninsule. Cet ensemble, que Riccardo Muti a lui-même fondé en 2004, se hisse à présent, sous la houlette de son chef, au niveau des meilleures formations actuelles. Le maestro en tire de somptueuses sonorités comme en témoigne le solo de trompette au début du deux et lui insuffle une direction alerte, d’une précision diabolique, où le théâtre est omniprésent. Point ici d’alanguissement ni d’histrionisme déplacé : comme à l’accoutumée, Muti fait fi d’une tradition discutable en supprimant les suraigus tenus à la fin des airs ou des ensembles pour permettre à l’action d’avancer sans entrave.
La distribution, sans faille, est également constituée de jeunes interprètes dont la moyenne d’âge n’excède pas trente ans, dominée par le « couple » Don Pasquale/Malatesta. Dans le rôle du facétieux docteur, Mario Cassi déploie une voix solide et bien projetée techniquement irréprochable. Son Malatesta, malicieux et roublard semble s’amuser tout au long de la représentation. Nicola Alaimo, neveu de la basse Simone Alaimo, campe un Don Pasquale de haute volée, doté d’une voix saine qui contraste avec les basses vieillissantes que l’on affiche habituellement dans ce rôle de barbon. Son personnage est tour à tour truculent et émouvant sans jamais sombrer dans le ridicule. Laura Giordano que les Parisiens ont découverte en 2007 au Châtelet dans La Pietra del paragone est une Norina piquante et rouée qui se joue de toutes les difficultés de sa partie avec une aisance et une maîtrise impeccable de la colorature. Le timbre, sans être exceptionnel, est juvénile, les aigus brillants et la chanteuse ravissante, ce qui ne gâte rien. Enfin, le jeune ténor hispano-argentin, Juan Francisco Gatell Abre incarne un Ernesto sensible et touchant. Si la voix semble encore par moment un peu verte, les moyens sont prometteurs, et l’artiste possède déjà un joli phrasé et un maîtrise accomplie de la demi-teinte. Tous jouent leurs rôles avec conviction au point de faire (presque) oublier qu’il s’agit d’une version en concert. Signalons également l’excellence des chœurs du Teatro Municipale de Piacenza .
Tous les protagonistes ont été chaleureusement applaudis par un public ravi qui a réservé un triomphe personnel au maître d’œuvre de la soirée, Riccardo Muti.
(1) Avec Sesto Bruscantini, Mirella Freni,Leo Nucci.
(2) un DVD TDK avec Ferruccio Furlanetto, Nuccia Focile, Lucio Gallo et Gregory Kunde.
(3) un DVD Arthaus a été réalisé à Ravenne avec la même distribution que ce concert, à l’exception de Caudio Desderi, dans le rôle-titre.