Pour conclure son cycle donizettien débuté en 2006, le Théâtre des Champs-Elysées programmait dimanche dernier la flamboyante Anna Bolena, dans une remarquable version concertante. Comme pour Maria Stuarda et Roberto Devereux servis avec talent, Evelino Pido dirigeait avec l’élégance contagieuse que nous lui connaissons, les forces de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, aujourd’hui garantes d’un style et d’une tradition qui allient pureté et noblesse.
Partisan d’une lecture ciselée, bruissante et tourmentée, à l’image de cette étouffante tragédie de cour, le chef italien sait épouser la psychologie des personnages, accompagner leur évolution en fonction de la progression dramatique, tout en ayant à cœur de construire une arche solidement tenue et d’amener l’auditeur vers un finale en forme d’apothéose, typique de cette période musicale. Serviteur dévoué de ce répertoire romantique dont il connaît les arcanes, Evelino Pido disposait d’un plateau très homogène et d’un rôle-titre qui, par chance, n’a pas dû être remplacé au dernier moment, comme ce fut le cas après les désistements de Patrizia Ciofi et de Darina Takova.
Annoncée souffrante (sans doute par coquetterie), la soprano albanaise Ermonela Jaho, découverte à Marseille en 2005 dans Traviata, s’est montrée tout à fait à la hauteur de l’événement. Interprète sensible et engagée, la cantatrice a surpris par la qualité de son chant, expressif et nuancé, sa manière audacieuse et personnelle d’habiter son personnage avec passion et détermination, sa hardiesse et sa vélocité lui permettant d’affronter sans ambages les difficultés de cette partition, créée par Giuditta Pasta. Voix pulpeuse et généreuse, à qui il manque un rien de souffle pour conduire plus longuement encore le phrasé donizettien et gravir sans coupure la périlleuse montée chromatique glissée dans la célèbre cantilène « Al dolce guidami », Ermonela Jaho est indiscutablement une artiste à suivre.
Sonia Ganassi après une impardonnable Ermione à Pesaro l’été dernier, retrouvait une tessiture plus adaptée à ses moyens, celle de la rivale royale, Giovanna Seymour, qu’elle a défendue avec conviction et professionnalisme, malgré des aigus arrachés et quelques notes escamotées, qui n’ont pu faire oublier le souvenir écrasant de Marilyn Horne, à New York en 1966 et en studio en 1969 aux côtés de Elena Souliotis.
Un peu tendu à son entrée, la basse italienne Marco Vinco est parvenue à se libérer au cours de la représentation et à offrir un portrait musicalement probant de l’autoritaire Enrico VIII. Injustement chahuté par une partie du public, le ténor Dario Schmunck n’a pas démérité en Percy dont il possède les attributs techniques, malgré un volume peu développé ; sa prestation a pourtant été amputée du fameux aria « Vivi tu », au second acte, comme pour donner raison à ses détracteurs ! Mezzo à la voix vive et élancée Manulea Custer campait un parfait Smeton, entourée de Stefano Ferrari (Hervey) et de Shadi Torbey (Rochefort). Prestation sans faute des choeurs de l’Opéra de Lyon.
Paris attend toujours une version scénique du chef d’œuvre donizettien…