C’est un vendredi 7 Août dans un Bayreuth assommé par la canicule que les festivaliers prennent place pour la troisième représentation de la nouvelle production de Tristan und Isolde. Le fraichement nommé directeur musical et la metteur en scène (accessoirement directrice du Festival et arrière petite-fille du compositeur) sont attendus au tournant (voir notre brève). Qu’en est-il de ce troisième soir alors que la première a été saluée chaleureusement, la deuxième représentation laissant les uns et les autres plus perplexes sur la direction et les choix de la mise en scène ?
Katharina Wagner prend en effet un angle clair : plus de faux semblants, Tristan et Isolde vont s’efforcer pendant deux actes d’assouvir leur passion dévorante. Cette volonté va se briser sur un lieu impraticable, dans l’espace scénique qu’elle a imaginé avec ses assistants (aux décors Frank Philipp Schölssmann et Matthias Lippert) : un dédale de marches qui n’est pas sans rappeler un escalier de Penrose. Katharina Wagner impose des choix de caractères forts et immédiatement compréhensibles. Isolde peut bien se cacher derrière ses monologues à l’acte 1, elle n’a pas besoin du truchement de la potion pour sauter au cou de Tristan dès qu’elle le peut. Le héros n’est pas en reste, il arpente les escaliers et cherche, en vain, la faille dans le dispositif scénique. Enfin, Kurwenal et Brangäne ne se font guère d’illusion sur les intentions de leur maitres respectifs. Pour eux aussi, jusque pendant le duo d’amour, il s’agit de lutter pour empêcher les amants de se réunir. Ils sont, en définitive, l’incarnation d’une norme sociale, encore bienveillante car plus proche de la convenance et des apparences que de la réprobation, et surtout, de la punition. Celles-ci sont l’apanage de Marke, cintré dans son hideux costume jaune – cocu forcément –, qui fait jeter au 2e acte les amants dans une prison, salle de torture physique et psychologique où ils continuent d’affirmer leur amour face à leurs tortionnaires. La fin va d’alleurs à l’encontre des interprétations habituelles : ni repentir, ni douleur pour le Roi mais une vengeance froide et des larmes de convenance. Isolde est trainée en coulisse sitôt sa dernière note chantée. Si transfiguration il y a, elle est bien vite évacuée au profit d’une réalité cruelle. Au demeurant, l’acte III est beaucoup plus classique et met en avant les riches qualités de l’équipe artistique : les lumières de Reinhard Traub sont à couper le souffle.
© Bayreuther Festpiele / Enrico Nawrath
Dans le rôle d’Isolde, le timbre et les registres parfois disloqués d’Evelyn Herlitzius handicapent non seulement le lyrisme mais aussi la ligne. Si l’interprète est en meilleure forme vocale qu’il y a un mois à Zurich, les notes les plus exposées du rôle, escamotées ou criées, lui échappent totalement. Restent le charisme et la présence, magnétique, qui épousent la vision de la metteur en scène.
En Tristan, Stephen Gould triomphe enfin sur la verte colline, lui qui a recueilli tant d’éloges à Berlin, Londres et Zurich les saisons passées. Si le timbre n’est pas toujours beau, la musicalité est confondante. L’endurance surtout est impressionnante depuis la première à la l’ultime note. Le troisième acte le voit proposer nombres de belles nuances entre deux déferlement sonores. Peut-être n’est-ce pas sur le nombre sa meilleure prestation (Zurich avec Nina Stemme cette année reste pour l’instant insurpassé), mais aux saluts le public du festival lui réserve sa meilleure part d’applaudissements.
Est-ce la conception à rebours voulue par Katharina Wagner, ou bien est-ce Georg Zeppenfeld qui peine a donner tous les accents douloureux que l’on entend usuellement chez Marke ? Le roi est ici plus concentré sur le mot, et la ligne est raide comme son attitude en scène. Iain Paterson (Kurwenal) et Christa Mayer (Brangäne) proposent des interprétations contrastées. Lui, tient bien son premier acte mais, s’essouffle au troisième, mis en difficulté dans l’extrémité de la tessiture. Elle maîtrise mal son vibrato dans l’aigu au premier acte mais se rattrape ensuite dans de beaux appels hors scène longuement tenus. Raimund Nolte, Melot au timbre sombre, Tansel Akzeybek (dans les rôles du pâtre et du pilote) et Kay Stiefermann complètent un plateau au global équilibré.
La brève intervention du chœur de marins, très bien disposé en coulisses, donnent à entendre chaque ligne vocale des différents groupes, et surtout, chaque mot avec une précision remarquable. Précision qui est aussi la qualité maitresse du maintenant directeur musical de Bayreuth, Christian Thielemann. Dès l’ouverture le chef dose avec minutie les interventions et l’orchestre, sompteux, respire, chaloupe entre piano et mezzo-forte, moments intenses et plus sereins, mise en avant d’un motif, ou au contraire, effet de masse. Dommage que le premier acte se délite par la suite, d’autant que le reste de la représentation est remarquable de lyrisme et de clarté.